Les plantes voyagent. Les herbes surtout.
Elles se déplacent en silence à la façon des vents. On ne peut rien contre le vent.
En moissonnant les nuages, on serait surpris de récolter d'impondérables semences mêlées de loess, poussières fertiles. Dans le ciel déjà se dessinent d'imprévisibles paysages"
Gilles Clément in Eloge des vagabondes - herbes, arbres et fleurs à la conquête du monde
Cela fait plus de quarante ans que je me pose la question de savoir ce que je recherche dans l'écriture, quel élan vital me pousse vers elle et vers la lecture, les vagabondages sont une quête souvent fructueuse et très vivifiante. Ils m'obligent à m'interroger et à réfléchir sur mon état d'être vivant, et je reviens de mes escapades autour de chez moi, riche de récoltes de mots, d'observations, les joues rouges et et les yeux grand ouverts sur le monde. Le bonheur est un état qui circule, comme le sang qui nourrit, il est là et souvent nous passons à côté. Mais je ne cherche pas le bonheur au sens moderne du terme, je cherche à me sentir vivante au milieu d'autres êtres vivants, à travers les mots qui me sont donnés et le sens que je leur donne. C'est là que naît la création d'un monde précieux qui me ressemble et avec lequel je me sens de connivence et en correspondance.
Je vous propose aujourd'hui de découvrir un atelier d'écriture et de lecture à vélo dont la seule contrainte que je me suis imposée était de faire des arrêts et de troquer mon léger hippocule (*), pour mon carnet et un crayon pour noter ce que je vois, ce qui me vient à l'esprit, dans le moment présent et à travers tous les pores de ma peau.
Voilà ce que cela a donné. Peu importe le résultat, c'est l'élan vital qui compte. Mais ramener de petits fragments ainsi récoltés, a rempli tout mon espace de réflexion, et tout l'après-midi. C'était délicieux, et j'espère que ces éclats rendront compte du plaisir que j'ai pris à les cueillir, tels quels, dans leur nudité et innocence.
(*)hippocule : petit véhicule que l'on fait avancer en le chevauchant. C'est un néologisme que je me suis amusé à inventer .
Souvenir du 20 mars 2015, Nice
J'écris :
Rêver les arbres, les animaux ou les hommes et leurs demeures, rêver dans la ville où je vis qui est ce qu'elle est et bien plus encore, ce que j'en fais. Habiter, c'est déjà créer, une histoire, une légende, des liens et des lieux de lecture et d'écriture. Limites infinies du rêve, mon plus grand voeu serait de pouvoir créer des instants partagés.
http://www.ubarius.com/category/web-vagabond/
Je suis allée voir ce blogue vagabond. Il est très beau, notamment la photo de Rauba Capeu, prise à Nice en bord de mer, entre Promenade et port par un photographe du nom de Christophe Jacrot. (à suivre)
Je lis :
La Vague (Yasushi Inoué) - Nouvelle dans Pluie d'orage (Stock)
page 61
"A la fin de la première leçon, Mme Tamiya se leva et lut de sa jolie voix transparente une poésie de Jules Romains intitulée "Ode" traduite par Fumaki. C'était la seule chose qu'elle ait notée sur son petit carnet.
Je n'attends rien, je ne veux rien
Que la paix de cette vallée.
Et je n'ai pas besoin non plus
Que le présent soit éternel".
Page 84
"Devant la maison, au-delà du chemin, trois ou quatre carrés de rizières se succédaient en plateaux successifs descendant en pente douce, après quoi le terrain plongeait brusquement, se dérobant au regard. Beaucoup plus loin, une multitude de cultures en terrasses tapissaient le versant opposé de la vallée en haut duquel était juché le village voisin dont chaque maison s'ornait d'un bouquet de bambous ou d'un petit bois. Une route serpentant à travers champs zébrait toute la pente. Le village était enserré dans un cirque de collines couvertes de frondaisons où se remarquaient les taches claires des bambous secoués par le vent, qui semblait assez violent à cet endroit. Ce paysage délicat s'étendait jusqu'à la ligne de crête des monts Amagi, distante de douze kilomètres".
Cette attraction qu'exerce sur moi ce petit texte, lu dans la courbe de l'avenue Cyrnos, qui monte raide jusqu'au Righi, par le Nord de la ville, vient-elle des "Monts Amagi" que j'imagine pleins du mystère de cet Orient lointain, ou bien de la proximité silencieuse des collines niçoises qui me poussent à les parcourir toujours et toujours, comme un Orient familier ?
Sur la colline qui me fait face, côté est, la très belle villa Arson, école d'Art contemporain. Toujours face à moi, côté est, un peu plus bas, le petit cimetière de Saint Barthélémy, blotti au soleil.
Dans une impasse, située sur l'avenue de Pessicart, en arrivant au Righi, j'arrive à un point de vue. La ville blanche et ses dômes colorés s'étendent devant le bleu immense de la mer. Au milieu de gravats poussent de graciles graminées qui penchent la tête.
De retour chez moi, j'écris :
" Etre une vagabonde
Etre une graminée
Il faut pour cela
Etre quelque part
Un bon livre toujours
Aujourd'hui Yasushi Inoué "Pluie d'orage"
Un carnet un stylo une mine de plomb
Un vélo peut-être
Le ciel
Et des désirs
Des désirs
D'étrangeté
De tendresse
Tout près
Un homme ses cheveux blancs
Il est venu à moi me parler
Devant une friche où je prenais
Des photos de vagabondes
Il m'a raconté l'histoire
De ce trou béant bouche ouverte
où s'ensemencent les herbacées
Légères comme des cheveux
C'était une villa...
Un autre inconnu m'a souhaité
Bonne promenade
Il a souri
Lassé s'envoler
La méfiance
Est-ce que quelqu'un qui écrit
Sur des carnets suscite ...
Des croisements
Dans un espace
Celui qui ouvre ses yeux, un livre,
Un carnet
Celui qui écrit là, que peut-il écrire .
Cette lenteur
Je voulais la partager
Mais avec qui ?
Devant moi le bleu immense troue
le ciel immense.
Au cours de cette échappée dans les collines, j'ai voulu aussi retrouver Bonnard, au Bosquet et sa "terrasse ensoleillée" du Cannet. Comme Bonnard je veux garder en poche un carnet où je consigne les choses de la vie. Dans ceux de Bonnard, témoins touchants d'une vie simple parmi les tableaux immenses de lumière et hurlant de couleurs, on pouvait lire "pluie le matin, beau temps dans la journée" ou la liste des courses "cigarettes, pinceaux, charbon, petits-beurres", les couleurs "bleu-violet, violet sous l'influence du ciel bleu". Ainsi, chaque matin, comme un rite, avant même le petit déjeuner, il part "faire une provision de vie" autour de sa maison ou plus loin dans les collines du Cannet". Les relations obsessionnelles qu'il entretient avec le climat, les saisons, les paysages sont source d'inspiration inépuisable pour la peinture.
"Je ne m'ennuie pas car j'ai travaillé et je suis devenu paysagiste non parce que j'ai peint des paysages mais parce que j'ai acquis une âme de paysagiste ayant fini par me débarasser du pittoresque, de l'esthétique et autres conventions dont j'étais empoisonné". Cher Pierre Bonnard, cher peintre nomade.
http://www.museebonnard.fr/pierre-bonnard/bonnard-au-cannet/le-cannet-peint-par-bonnard
Vous pouvez ainsi constater que mes lectures inspirent le paysage qui m'inspire à son tour et en retour inspire des écrits, par des rebonds, allant de l'un à l'autre et qui se répondent en échos.
Demain je vous ferai part de deux découvertes de lecture, au bout de ma rue. Il suffit parfois de pousser une porte et d'entrer.
Avez-vous écrit depuis que vous me lisez ou bien lisez-vous autrement depuis que vous me lisez, si vous me lisez, comment savoir si vous ne m'écrivez pas ?