Aujourd'hui je vous écris à côté de mon jardin plein du chant des oiseaux, de sifflements longs et modulés, de pépiements répétés, de tonalités diverses, de gazouillis et de ramages savants. Je voudrais pouvoir décrire facilement ce que j'entends, mais je me rends compte que le langage peine à décrire les sons, tant il agit comme un formidable simplificateur de la réalité, une arithmétique qui tente de rendre la réalité sans atteindre jamais son but. Cependant la réalité est là et m'imprime de sa complexité.
Le moment d'écriture que je choisis est lui-même différent de celui que je transcris. Je baigne dans une atmosphère chaude de début d'été car ici à Nice, nous sentons déjà l'été plus que le printemps mais le jour dont je veux vous parler fait déjà partie de mon histoire, de l'histoire et une certaine nostalgie vient s'y glisser sans crier gare.
Le moment dont je veux vous parler c'est celui du 12 mai dernier. C'est le matin. Je lis dans Télérama 3664 du 01/04/20 une petite phrase qui chemine sur mes tartines et mon café : "L'écrivain recherche les vibrations qui émanent des lieux". Voilà une phrase qui me parle, me signifie quelque chose. Elle contient tant de choses qui me sont précieuses pour vivre chaque jour qui se lève et étirer le temps de l'existence.
L'écrivain est Alain Fournier, que j'ai tant aimé dans "Le Grand Meaulnes". J'ai tant rêvé la Sologne, ses marais, ses bruyères, ses espaces infinis et troubles, grâce à Alain Fournier. J'ai plus rêvé la Sologne que l'Amérique qui m'arrivait à travers des stéréotypes, des paysages et des personnages filmés. Ici s'étendait la Sologne et ses mystères, si proches, soufflant une haleine de brouillards, d'histoires d'amour impossibles, de personnages qui me hantaient longtemps. Je compris "les Riches Heures du Duc de Berry". J'avais dix-sept ans.
C'est ainsi que cette petite phrase "l'écrivain recherche les vibrations qui émanent des lieux" et la carte postale du Vieux Moulin d'Epineuil-le-Fleuriel me plongèrent dans une contemplation toute entière tournée vers le Berry et me conduisirent à écrire :
Mon regard s'arrête
sur la photo vieillie
d'une carte postale,
Profil d'une Marianne
Bonnet phrygien
Boucles en cascade
Rouge sang
geste grec et dansé
D'une semeuse
Elle ensemence la terre
et son dos en cadence
tourne sur sa taille vers nous
ses hanches légèrement de face
Dix centimes
Un timbre
cadences
République Française,
Lumière d'août
Début du XXème
Jaunes et gris fanés
En Berry - Epineuil-le-Fleuriel
Cette suite de notes
Lieux en musique
Fugues d'ombres et de clartés,
Je les contemple
comme on contemple
des images graphiques
mélodiques
En Berry, Epineuil-le-Fleuriel
Une pluie de è, é, e, èl, eu, euil,
Cousines voyelles,
Ouvre des paysages
Doux et vallonnés
Et montre un moulin
Caché par des peupliers
Blancs
Et une famille, nombreuse,
Des femmes
Est-ce la guerre ?
On y entend comme le bruissement d'un paradis
Une terre d'abondance maternelle
Au goût de miel.
Poème de l'instant
Laurence Marie Noé
Le 12 mai 2020
à Nice
Lorsque j'eus terminé de rêver le Berry, pays ô combien exotique et parcouru d'histoires et de légendes, je décidai d'aller chercher un livre de George Sand. Jamais jusqu'alors, je n'avais ressenti l'envie impérieuse d'acheter un livre de George Sand.
Je trouvai le jour même, dans la librairie "Les Journées Suspendues" à Nice, qui ouvrait après deux mois d'interruption, "La Mare au Diable" chez folio classique.
La Mare au Diable est précédé de propos de l'auteur, qui sont des réflexions d'écriture. Comment en est-elle arrivé à écrire "La Mare au Diable" ? Elle s'adresse au lecteur, mais je pense également aux critiques, qui vont toujours bon train, lorsqu'il s'agit d'histoires simples d'hommes et de femmes simples (j'entends par simple, des histoires qui se veulent des histoires, avec un début, un milieu, une fin et par gens simples, des gens modestes, qui ne font pas partie des milieux bien informés de l'époque, c'est à dire des gens cultivés, de l'aristocratie, de la bourgeoisie, ou de la ville, c'est à dire Paris). Bien sûr, simple ne veut pas dire simpliste.
Elle appelle la série de romans dont fait partie "La Mare au Diable", ses romans champêtres. Elle affirme "je n'ai eu aucun système, aucune prétention révolutionnaire en littérature".
"Je n'ai rien fait de neuf en suivant la pente qui ramène l'homme civilisé aux charmes de la vie primitive. je n'ai voulu ni faire une nouvelle langue, ni me chercher une nouvelle manière".
"... la critique en cherche si long, quand l'idée la plus simple, la circonstance la plus vulgaire, sont les seules inspirations auxquelles les productions de l'art doivent l'être". ..... "une scène réelle que j'eus sous les yeux dans le même moment, au temps des semailles, voilà ce qui m'a poussé à écrire cette histoire modeste, placée au milieu des humbles paysages que je parcourais chaque jour";
"Si on me demande ce que j'ai voulu faire, je répondrai que j'ai voulu faire une chose très touchante et très simple, et que je n'ai pas réussi à mon gré. J'ai bien vu, j'ai bien senti le beau dans le simple, mais voir et peindre sont deux !"
"Tout ce que l'artiste peut espérer de mieux, c'est d'engager ceux qui ont des yeux à regarder aussi".
"Par le rêve, la méditation et la prière, je m'évade loin, si loin" "La terre est en train de mourir et de s'appauvrir et l'homme par besoin de s'enrichir et par cette avidité incroyable,ne comprend pas qu'il est en danger" G. Sand
Ce sont ces mots qui précèdent le roman lui-même, qui m'ont poussée jusqu'à la librairie. Je savais que j'y découvrirais quelque chose comme de l'art de lire et d'écrire, qui est mon chemin.
Lisons ensemble George Sand et la "Mare au Diable" et laissons nous entraîner dans ce Berry de sortilèges, et de légendes.
Je vous invite également à noter des réflexions, des moments de lecture. Avez-vous été touché (e) par "la Mare au Diable"? Avez-vous été transporté (e) par le génie de cette auteure méconnue, qu'on ne lit plus guère et qui pourtant fait preuve d'une grande contemporanéité d'esprit et de langage.
Les préoccupations de nos frères humains du XIXème siècle, sont les mêmes qu'aujourd'hui, (l'amour, le mariage, le travail, la femme, l'homme, les enfants, la nature, la mort),
et leur manière de percevoir le monde jette une lumière mélancolique sur notre époque.
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Ecoutez également :
George Sand, vie singulière d'une auteure majuscule, sur France-Culture :
L’enfance hante l’oeuvre de George Sand, elle ne cesse d’y revenir, de recomposer ses souvenirs troués, d’en chercher le sens. Parce que George Sand marche dans les pas de Rousseau, elle prend l’enfance au sérieux, la sienne et celle des autres.
Elle écrit des histoires où les enfants parlent aux arbres, inventent des potions magiques ou se perdent dans la forêt. Sans mièvrerie, pédagogue dissidente, elle fait l’école à ses enfants, chante et herborise avec ses petites-filles. Et c’est comme ça, fille, mère, puis grand-mère qu’elle réinvente la filiation. L’enfance comme un fil rouge, une clé pour comprendre la vie et l’oeuvre de George Sand.
Un songe d'âge d’or, un mirage d’innocence champêtre, artiste ou poétique m’a prise dès l’enfance et m’a suivie dans l’âge mûr. George Sand
Textes de George Sand cités :
- Histoire de ma vie
- La Petite Fadette
- Contes d’une Grand-Mère
- Correspondance éditée par George Lubin chez Garnier Frères
Publications en lien avec l’émission :
- Martine Reid, George Sand, Paris, Gallimard, 2013
- George Sand, Histoire de ma vie, éd. Martine Reid, Paris, Gallimard “Quarto”, 2004
Intervenants :
- Michelle Perrot, professeure émérite d’histoire à l’Université Paris VII-Diderot.
- Martine Reid, professeure de langue et littérature françaises à l’Université de Lille-III.
- Christine Planté, professeure de littérature française du XIXe siècle à l’Université Lumière-Lyon-II
- Anne Verjus, chercheure en histoire politique au CNRS.
- Mona Ozouf, historienne, directrice de recherches au CNRS.
Je vous donne d'autres références à lire sur le Berry, la terre de George Sand.
Article de Télérama - Voyager Autrement - Ici se rencontrent les esprits
N° 3657 12/02/20