L'article que je vous propose de lire aujourd'hui, est la trace qui reste d'un atelier de lecture bilingue (français-anglais) et transversal que j'ai vécu avec des élèves de Terminale Secrétariat. Ce sont des élèves qui sont souvent rebutées par la lecture. La plupart sont en difficulté et ont un vocabulaire assez restreint.
C'est pourquoi, j'ai monté cet atelier (devant ensuite se prolonger par une expérience d'écriture), où le corps est engagé dans l'acte de lecture (le corps est si important pour les élèves de cet âge), et la voix qui est à la fois un phénomène physique très présent et aussi un merveilleux instrument de musique qui permet de jouer les mots, de les vivre pleinement, dans un mouvement, un souffle ... Bien sûr cette partie a été préparée en classe, dans un choeur de récitants, puis en solistes ... nous y avons pris beaucoup de plaisir.
Le plaisir doit toujours être présent, la lecture devient rythme, intonation, mesure, les phrases sont étirées, modulées ou scandées, une musique intérieure apparait.
Le livre choisi est : LULLABY qui est le mot anglais pour BERCEUSE, et aussi le nom d'une très jeune fille, l'héroïne de ce jour d'avril 2010.
Avant de donner quelques extraits de Lullaby et le cheminement de lecture des élèves, voici un résumé, et des remarques sur ce livre.
PROJET : Promenades littéraires
Projet bilingue (Français/Anglais) transversal
Mme Basso : professeur de communication/secrétariat Mme Pécheur : professeur d’anglais-français
PRESENTATION DE LA CLASSE DE TMS2 :
Un souvenir de la visite du musée Masséna en mai 2010
Fanny, Marine, Elodie, Shérazade, Fatima, Katia, Anne-sophie, Rania, Sarah, Saranda, Anissa, Alhem, Naourez, Aurélie, Dalhia, Moinourou, Maëva, Jurjura, Sameh, Hajer, Bérangère, Jessica, Aurélie.
A la rentrée 2010, nous décidons des possibilités de parcours littéraires, projets répartis sur les trois trimestres :
- Nice avec Jean-marie Gustave Le Clézio, à la fin octobre 2010 : esprit des lieux où l’auteur a vécu, écoute des mots, des voix, des vagues.
Thèmes retenus : Sensations, impressions, la fuite, la mer, la curiosité (au-delà, par-dessus ...), l'adolescence.
- Menton avec Katherine Mansfield, à laquelle je consacrerai un article ultérieurement.
Jour 1 : Promenade du lundi 18 octobre 2010
La marche vers la mer – partons et voyageons ... avec JM G. Le Clézio.
I - Travail préparatoire en classe : a) Sur l’auteur :
- Une courte biographie est établie par deux élèves (Fanny et Moinourou)
Nous nous attachons surtout à ce qu’il dit ou écrit car ses mots guideront et donneront ses couleurs à notre promenade. Peut-être laisseront-ils quelques traces à l’intérieur de nous-mêmes.
Ainsi, il nous dit :
« Ce n’est pas par hasard qu’il y ait cette rencontre entre le fait de lire et celui de vivre au bord de la mer ».
« Je crois profondément que les livres sont des éléments les plus dangereux d’une époque, les plus beaux aussi, les plus risqués pour celui qui les lit et celui qui les écrit. »
« Lire ou écrire, je ne vois pas la différence. C’est un tout ».
« Je me souviens, j’avais le sentiment du danger éminent représenté par le livre. »
et sur Nice :
Nice, la ville du Livre des Fuites, la ville des errances anciennes et des nouvelles. Ville des jardins quadrillés de massifs de lauriers et de haies de cyprès. J.M. Le Clézio est là, accoudé à la balustrade.
Promenade du bord de mer, errant vers le quartier de l’est, (...) longeant les villas blanches et les jardins de palmiers. Nice, toujours Nice.
« la ville immobile, étendue entre mer et montagne, sombre comme une grande flaque. »
b) Lectures préparatoires en classe :
Nous lirons la nouvelle « Lullaby » en entier et nous travaillerons des extraits choisis par nous.
Nous travaillerons l’extrait que nous avons choisi de lire à voix haute, comme un musicien travaille une partition : nous poserons notre voix, notre respiration. Nous écouterons les silences, le rythme, le souffle pour donner vie au texte qui en retour, nous fera voir, sentir, entendre le paysage autour de nous.
Puisses-tu, « Lullaby », petite berceuse du bord de cette mer Méditerranée ... nous accompagner parce que «je me suis retrouvé, par ma naissance, devant cette mer, et il fallait bien que j’en fasse quelque chose . »
c) Nous préparons une note de service pour l’organisation de la journée (Jurjura et Saranda), à partir des lectures et des renseignements que nous avons collectés sur les lieux en relation avec J.M. G. Le Clézio.
(à insérer)
Le 18 octobre arrive. La veille, il a beaucoup plu. Mais le matin se lève, clair et lumineux.
Nous partons de la Place Garibaldi.
Première étape : chercher l’appartement où Jean Marie Le Clézio a vécu avec sa famille. Nous avons pour cela une photo de sa chambre et la vue sur le port. Nous savons que la famille Le Clézio occupe tout un étage, le troisième d’un immeuble à gauche de l’église Notre-Dame du port, plus connu sous le nom de palais du duc d’Astraudo. Trois fenêtres donnent sur le port. Nous avons également une photo du balcon en façade et des sculptures d’inspiration grecque.
Nous rencontrons un monsieur qui attend le bus pour aller chez le dentiste. Il nous indique l’endroit exact où a habité l’auteur. Il a bien connu Le Clézio et s’en souvient bien. Dans les années 70, le vieil immeuble aux fières colonnades à l’italienne, tombe en ruine. Quant au bureau de Le Clézio, il n’est pratiquement pas chauffé !
Nous nous engouffrons dans le « spacieux escalier de marbre blanc et sous les plafonds à caissons », là, nous y évoquons l’auteur, au centre de sa chambre où brille un astre étrange : une ampoule électrique.
De nombreux livres (Terra Amata, L’Extase matérielle, le Livres des Fuites) comptent tous de singulières pages sur cette ampoule qui jette des éclats fulgurants, qui s’éteint et se rallume sans fatigue. C’est étrange, cette fascination véritable et insistante pour ce conducteur d’électricité alors que le père, médecin en Afrique, en rejette l’existence et lui préfère la lampe à pétrole ou la bougie.« Ampoule électrique, ampoule électrique, sauve-moi ! Viens à mon aide ; Permets que j’entre dans ta sphère de silence, à l’intérieur de ta bulle de verre fragile. »
Nous admirons les fières colonnes de la Place Ile de Beauté, face au port où a vécu JMG Le Clézio.
Deuxième étape : Lectures
Nous longeons le port et partons vers la Réserve et « les rochers blancs comme des icebergs. »
Dalhia lit Lullaby : (photo de Sarah)
« Le jour où Lullaby décida qu’elle n’irait plus à l’école, c’était encore très tôt le matin, vers le milieu du mois d’octobre. (...)
Il y avait beaucoup de soleil et en se penchant un peu , elle put voir un morceau de ciel bleu.... Au-dessus des toits des voitures arrêtées, la mer était bleu sombre, et il y avait un voilier blanc qui avançait difficilement. Lullaby regarda tout cela, et elle se sentit soulagée d’avoir décidé de ne plus aller à l’école.
Elle retourna vers le centre de la chambre, elle s’assit devant sa table, et sans allumer la lumière elle commença à écrire une lettre. »
.
Anne-Sophie lit à voix haute et claire : On entend les vagues qui se brisent plus bas.
(photo de Sarah)
« Dans les rues, le vent n’était pas le même. Il tournait sur lui-même, il passait en rafales qui claquaient les volets et soulevaient des nuages de poussières. Les gens n‘aimaient pas le vent ...
Lullaby marchait dans les rues à grandes enjambées, les yeux à moitié fermés à cause de la poussière.
Rania : (photo de Sarah) « ça faisait plusieurs jours maintenant que Lullaby allait du côté de la maison grecque. Elle aimait bien le moment où, après avoir sauté sur tous ces rochers, bien essoufflée d’avoir couru et grimpé partout, et un peu ivre de vent et de lumière, elle voyait surgir contre la paroi de la falaise la silhouette blanche, mystérieuse, qui ressemblait à un bateau amarré. Il faisait très beau ces jours-là, le ciel et la mer étaient bleus, et l’horizon était si pur qu’on voyait la crête des vagues. (...)
Katia :
(...) « Les rochers blancs semblaient des icebergs debout sur l’eau. Un peu penchée en avant contre le vent, Lullaby marcha un moment le long de la côte. (...) Elle aurait bien voulu revoir la belle maison grecque aux six colonnes, pour s’asseoir et se laisser emporter jusqu’au centre de la mer.(...) Alors elle s’assit sur une pierre et essaya d’imaginer la maison.»
Elodie : (photo de Sarah)
« Le soleil frappait fort sur la mer, et grâce au vent froid, Lullaby sentit que ses forces revenaient. Elle sentit aussi le dégoût, et la colère, qui remplaçaient peu à peu la crainte. Puis soudain, elle comprit que rien ne pourrait lui arriver, jamais. C’était le vent, la mer, le soleil. Elle se souvint de ce que son père lui avait dit un jour, à propos du vent, de la mer, du soleil, une longue phrase qui parlait de liberté et d’espace, quelque chose comme cela. Lullaby s’arrêta sur un rocher en forme d’étrave, au-dessus de la mer, et elle renversa sa tête en arrière pour mieux sentir la chaleur de la lumière sur son front et sur ses paupières. »
Anissa
(photo de Sarah)
Le vent tombait d’un seul coup, et elle sentait toute la lumière du soleil qui l’enveloppait doucement, qui électrisait sa peau et ses cheveux. Elle respirait plus profondément, comme quand on va nager longtemps sous l’eau. Lentement, elle faisait le tour du grillage, jusqu’à l’ouverture. Elle s’approchait de la maison, en regardant les six colonnes régulières blanche de lumière. A haute voix, elle lisait le mot magique écrit dans le plâtre du péristyle, et c’était peut-être à cause de lui qu’il y avait tant de paix et de lumière :
« Karisma...»
Le mot rayonnait à l’intérieur de son corps. (...)
Les rayons de lumière sortaient d’elle, par ses doigts, Par ses yeux, sa bouche, ses cheveux, ils rejoignaient les éclats des rochers et de la mer.
Saranda :
« Très doucement d’abord, puis à voix de plus en plus haute, Lullaby chantait l’air qu’elle n’avait pas oublié, depuis tant d’années :
Where the bee sucks, there suck I ;* In the cowslip’s bell I lie :
There I couch when the owls do cry. On the bat’s back I do fly
After summer merrily :
Merrily, merrily shall I live now,
Under the blossom that hangs on the bough.
*poème de Shakespeare
Sa voix claire allait dans l’espace libre, la portait au-dessus de la mer. Elle voyait tout, au-delà des villes, des montagnes. »
Visite de la villa grecque Kerylos à Beaulieu
Hager :
« Lullaby sentait son corps s’ouvrir, très doucement, comme une porte et elle attendait de rejoindre la mer (...) Son sorps resterait loin en arrière, il serait pareil aux colonnes blanches et aux murs couverts de plâtre, immobile, silencieux. C’était l’arrivée vers le haut de la mer, tout à fait au sommet du grand mur bleu, à l’endroit où l’on va enfin voir ce qu’il y a de l’autre côté. Le regard de Lullaby était étendu, il planait sur l’air, la lumière, au-dessus de l’eau.
Jurjura :
« Lullaby était pareille à un nuage, à un gaz, elle se mélangeait à ce qui l’entourait. Elle était pareille à l’odeur des pins chauffés par le soleil, sur les collines, pareille à l’odeur de l’herbe qui sent le miel. Elle était l’embrun des vagues où brille l’arc-en-ciel rapide. (...) Elle était le sel, le sel qui brille comme le givre sur les vieux rochers ou bien le sel de la mer, le sel lourd et âcre des ravins sous-marins. »
«La lumière scintillait sur leurs crêtes, comme du verre pilé »
ATELIER D’ECRITURE :
« Ecrire, nous dit Jean-Marie Gustave Le Clézio, c’est aller voir de l’autre côté de la colline ».
Notes et remarques de lecture :
Lullaby fait corps avec les éléments naturels (les nuages, les pins, l'herbe, le miel et la lumière), elle est et devient ces éléments. Comme dans beaucoup de romans de J.M.G. Le Clézio, ses héros et héroïnes sont solaires et rayonnent longtemps à l'intérieur de nous. Je pense que les élèves, dans leur jeunesse éclatante, ont très bien compris ce qui les relie à ce personnage, sa poésie.
J'ai gardé de cette journée un souvenir radieux, où j'ai vu les jeunes élèves, baignées de lumière et ouvrant un livre, bercées par le murmure répété des vagues. C'était un peu les mots de J.M.G Le Clézio qui adoucissaient leurs gestes et leurs traits.
J'invite les élèves à regarder la mer, son scintillement et à garder dans le creux de leurs mains, comme un trésor, cette image que nous offre JMG Le Clézio : "La lumière scintillait sur leurs crêtes, comme du verre pilé."
J'ai beaucoup d'autres photos prises par Sarah, qui a pris son rôle de "reporter" au sérieux, et dont les points de vue illustrent bien le sentiment que nous avons partagé. Malheureusement elles dépassent souvent 8Mo, taille maximum autorisée par la plate-forme.