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DANS LE CREUX DE L'OREILLE AUX CONFINS DU CONFINEMENT

Dans le jardin, Clarisse aperçoit un arc-en-ciel

Dans le jardin, Clarisse aperçoit un arc-en-ciel

Le chapitre 4, 5, 6, 7 sont disponibles à la fin de cet article.

LE MOUTON SE REBIFFE :  Un drame, écrit  un après-midi d'été  étouffant, par Laurence-Marie Noé, Clarisse (8 ans) et une amie, Françoise, dans la joie et la bonne humeur. Tous les jours l'histoire continue ...   1 chapitre par  jour de lecture inédite ! Actuellement six  chapitres à lire seul ou accompagné.

Bonjour les enfants ! Cette histoire,  je l'ai écrite pour vous. Vous n'aurez qu'à écouter celui ou celle qui voudra bien vous la lire, ou bien la lire vous même, et laisser venir les images. Elles viendront toutes seules, et elles vous appartiendront, elles seront vos images, votre monde.

Vous avez ce pouvoir là, de créer des images dans votre tête au fur et à mesure que l'histoire se déroule.

Lire et écouter une histoire est d'autant plus important qu' il est interdit de caresser et de bercer un mouton pour de vrai, aussi mignon et rond soit-il, et lui faire des bisous dans le cou, parce qu'il est interdit de sortir et d'aller dans les prairies pendant que nous sommes confinés.

Puissions-nous encore le faire en rêve ! Se laisser confiner par un mouton, c'est doux, ce n'est pas dangereux, et ça sent bon l'herbe coupée. On peut plonger les deux mains dans sa toison et se réchauffer le coeur à la sortie de l'hiver, encore un peu frisquet. 11° aujourd'hui à Nice. Il n'a pas fait aussi froid de tout l'hiver.

Alors pelotonnez-vous (*) dans le sofa, avec un coussin sous la nuque, les oreilles bien ouvertes, et laissez vous transporter par le train des rêves, au pays des moutons.

(*) blotissez-vous, mettez-vous en pelote (de laine de mouton !)

Note au lecteur : Amusez-vous à le lire de différentes façons, plutôt d'une manière expressive, lentement et en prononçant certains mots avec gourmandise.

4ème de couverture : Georges est un mouton malheureux, méprisé par tout le monde, sauf par Croquoline son amie. Comment arrivera-t-elle à sauver son ami mouton de cette triste situation ?

Thèmes abordés : l'amitié, la solidarité,  le harcèlement, la prise de parole, le pouvoir des mots, la confiance en soi, la gentillesse, la méchanceté, la sincérité, l'hypocrisie.

 

 

 

 

                                                 CHAPITRE 1

              IL ETAIT UNE FOIS... UN MOUTON

 

Il s’appelait GEORGES,  car ses parents adoraient la verte Angleterre et lui avaient donné un nom de roi.
Dans les prés aux mille marguerites,  on avait déclaré qu’il était un peu bête parce qu’il avait pris l’habitude de répondre:
« Ben euh..euh.. euh.., quoi  a.. a.. a.. » à toutes les questions qu’on lui posait.     

Se moquer de lui était un jeu,  jusqu’aux plus hauts sommets des plus hautes montagnes, loin, loin jusqu’aux confins des pâturages et des déserts.

Pauvre Georges, il était bien malheureux et seul. Souvent, paissant lentement, il regardait les longs nuages moutonnants, et  laissait alors ses pensées voguer très loin, jusqu'au pays où les moutons normaux n’existaient pas.

Car en fait, et c’est là le drôle de l’histoire, Georges le mouton n’avait rien d’un mouton. Disons qu’il était original, et c’était pour cela que l’on se moquait de lui et qu’on se permettait de lui donner des ordres  : « Georges par ci, Georges par là, Georges, Georges, Georges" et il n’en pouvait plus, il en avait par dessus la casquette de mouton (il faut que je vous dise, cette expression est très courante dans la prairie fleurie).


Physiquement, il n’avait rien d’un mouton. Il portait une toison épaisse, aux reflets bleus, surtout au soleil, à faire pâlir le ciel et aux poils très raides, qui étaient ramenés sur le front comme une frange. « Mais d’où il sort ç’ui-là ?» disait souvent sa mère, à la fois fière et inquiète.


« Eh ! le frisé ! viens par là», ça c’était Raquette, sa soeur avec ses sabots noirs, la vilaine, (oh oh oh, avec ses sabots dondaine *), qui  le hélait pour se moquer, encore se moquer, toujours se moquer, et Croquette, et Pacrette, ses deux autres soeurs, qui tournaient, tournaient autour de lui, « eh,  Le frisé ! le frisé ! «   et Georges devenait tout rouge de honte, avec ces brebis  bêlantes, trop brebis à son goût, trop normales et surtout trop méchantes.
 

 (*)vous pouvez fredonner l'air de la chanson : en passant par la Lorraine  avec mes sabots ....                                

 

Atelier d'écriture sur le texte :

1) As-tu tout compris ?

Que signifie le titre : Le mouton se rebiffe ?

Pouquoi pense-t-on que Georges est bête ?

Est-il frisé ? pourquoi ses soeurs l'appellent "le frisé" ?

2) Que veut dire l'expression : En avoir par-dessus la casquette ?

- il aimait porter une casquette

- il n'en pouvait plus

    Qu'est-ce qu'une toison ? Donne un synonyme.

3) Donne une suite à cette histoire en 10 lignes, et envoie la sur mon mail : plauranice@gmail.com

4) Dessine un mouton (comme le petit prince !), prends ton dessin en photo et envoie la sur mon mail : plauranice@gmail.com

 

Demain, Clarisse et moi-même vous invitons tous à lire, ensemble et à voix haute ....  A demain

 

Jeudi 26 Mars 2020

Bonjour les enfants !  Comme promis, voici la suite de l'histoire du mouton Georges. J'espère que vous aimez Georges, malgré ses petits défauts, car il en a bien besoin.

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                       CHAPITRE 2

                Georges est invité

 

« Ben euh! quoi ! ça vous dér.r.ran.an..ange ? » c’était tout ce qu’il trouvait à dire, et il faisait rouler  les r.r.r. en repliant sa langue sur le palais et en faisant traîner la dernière syllabe ran en prononçant « run ».

 

Même Sifflet, le serpent voulait lui donner des ordres : « Va me ser..ser        de l’eau, mouton ! » sifflait-il avec son énorme cheveu sur la langue, et « vite », « z’ai ssoif  !».

Alors Croquoline, la teckel, qui avait un croc contre tout le monde, mais fort jolie et gentille par ailleurs, dit à Georges 

»Pourquoi tu te laisses faire, tu es trop gentil ! Ils profitent tous de toi dans la prairie. Réveille-toi! ».

« Ah ! euh ! ben quoi … C’est vrai ? »

« Ben oui quoi, t’es mou, mou, mou, mouton ! » dit-elle, et elle sauta sur Sifflet, et lui mordit la queue.

 

« Ouille, ouillouille! à l’aide !» Sifflet  se carapata en glissant, se faufilant, et en prenant la poudre d’escampette dans les hautes herbes et les fougères de la prairie. Maintenant on l’entendait pleurer au loin. Cela lui faisait un peu mal.

 

« Quel foin celui-là (*) !» s’écrièrent  Raquette, Croquette et Pacrette, bien contentes que Sifflet ait pris une bonne leçon et toujours aussi méchantes, rirent aux éclats mais leur bouche était un peu tordue.

(*)autre expression de la prairie qui signifie « il en fait des histoires »

 

Croquoline  alors prit la parole : « Georges, je t’invite au salon de thé Pissenlit, demain à trois heures pile poil de mouton. Il y aura des gâteaux  crocroustillants (*) Qu’on se le dise ! Et qui m’aime me suive !

(*) patois de la prairie, qui signifie : très croustillants et croquants

Mais personne ne bougea …

 

« Ben euh! quoi! oui! j’adore la crème Chantilly ! ça ressemble aux nuages de mes pensées ou aux chevelures des moutons normaux. »

 

« Alors, qu’as-tu décidé, tu viens ou tu ne viens pas ?», Croquoline voulait savoir et elle le trouvait bien mou, mou, mou, ce mouton.

 

Les trois soeurs dans leur coin, observaient la scène et rongeaient leur sabots noirs. Elles n’étaient pas invitées et elles en étaient vertes de rage.

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Vous connaîtrez la suite demain ...  Soyez sages, restez bien confinés et lisez de belles histoires. Ou bien transformez celle-ci à votre guise (*)

- Sais-tu ce que veut dire : prendre la poudre d'escampette ?

C'est une expression qui vient de l'ancien français, très imagée.

"escamper"  voulait dire  s'enfuir. Ce qui signifie que Sifflet, le serpent est parti sans demander son reste. 

(*) guise : c'est un mot qui vient du francique, la langue des Francs (wisa = manière). "à votre guise" veut dire "à votre manière", comme vous l'entendez. C'est un bien joli mot encore très employé.

 

 

 

Aux oreilles de ceux qui lisent ces mots :

Bonjour les enfants ! Nous sommes aujourd'hui le vendredi 27 mars 2020. Dehors le temps est gris et froid, et tout est recouvert d'étrangeté.  Nous sommes toujours confinés, et nous ne fuyons plus notre monde intérieur mais nous le recherchons. La voix s'élève, une voix humaine, sans image et sans écran.

Aucun enfant ne peut résister à la voix humaine, directe, celle qu'ils ont entendu peut-être lorsqu'ils baignaient dans le liquide amniotique, comme des petits poissons. Cette voix est un besoin tapi au fond de tout être. La voix humaine, avec ses mélodies à l'infini, ses timbres uniques, qui touchent et enveloppent autant que les bras. La voix portent des sons que l'on perçoit dans leur douceur ou leur dureté, ces sons qui portent des mots et enfin des idées et des images et qui deviennent très proches, comme un souffle dans le creux de l'oreille. Et tout à coup on voit la scène comme si nous étions dedans (ce qui est différent du cinéma).

Alors retrouvons ce lien hors du temps, direct, réel, coloré, sensible qui nous relie tous les uns aux autres par l'expérience des mots seuls.

Et lisons, lisons ensemble, à voix haute ou silencieusement et écrivons, formons des lettres et des mots, qui sont faits de cette matière incroyable qui est le plaisir d'entendre, d'écouter ou de voir des mots,  pour ce qu'ils représentent et dessinent à l'intérieur de notre corps.

Nous n'avons pas besoin d'outils sophistiqués, de télévisions, d'odinateurs (ce qui est contradictoire avec ce que je fais présentement), de portables, juste notre voix et notre désir d'utiliser notre voix, de former des mots,  je dirais aussi des sons ... Au moins pendant ce temps de lecture à plusieurs dans notre espace confiné.

Essayez de caresser un chat avec des mots prononcés pour lui, juste pour lui et voyez l'effet que vous produisez sur lui.

Mais à partir du moment où la technique existe, pourquoi ne pas l'utiliser ? C'est aussi le propre des humains que d'inventer et de créer, et d'essayer de dépasser les limites du corps (dans le temps et dans l'espace) et de vous atteindre silencieusement. 

Ainsi je ne dis pas qu'il ne faut pas utiliser les outils techniques qui sont à notre portée. Mais il faut veiller à réserver un temps à la voix nue, au mots écrits. Les outils nous sont utiles comme peuvent l'être le couteau, le stylo ou la roue. Ils sont des objets,  et nous pouvons nous en servir pour ce qu'ils sont, si possible pour créer quelque chose, et nous aider ou nous encourager à être créatif et pour nous aider à rester en relation avec les autres.

Retrouver la simplicité, le dépouillement, le dénuement, la voix seule, c'est l'opportunité que nous offre le confinement. Alors, expérimentez, si vous ne l'avez pas déjà fait. 

Cette expérience du confinement, est une expérience unique. L'échange mondial des virus   prend-il sa source dans la sur-consommation mondiale, et la sur-production au mépris de cette matière précieuse, la terre, au mépris des cycles, des saisons, des besoins des êtres vivants, des hommes, des plantes, des animaux ?

Des virologues (et oui ! cela existe) australiens avaient prévu dés 1960, que la prochaine pandémie viendrait du sud de la Chine, du fait des transformations (destructions) écologiques : augmentation du nombre de volailles (de 13 millions en 1968 à 13 milliards en 1997 ! et combien aujourd'hui ?), déforestations massives, qui amènent les chauves-souris près des habitats urbains ... (Télérama du 28 mars 2020, propos de Frédéric Kerk, recueillis par Juliette Cerf. Frédéric Kerk est anthropologue, philosophe et a écrit : "Un monde grippé" 2010 et "Les Sentinelles des pandémies. Chasseurs de virus et observateurs d'oiseaux aux frontières de la Chine" éd. Zones sensibles)  

  

Mais revenons à nos moutons, et à notre cher Georges, le mouton qui portait un nom de roi anglais, et vagabondez avec lui, au gré de cette lecture.

                                               CHAPITRE 3

                         Georges est bien embêté !

 

Mais elles étaient futées et fières, les trois soeurs, et elles gardèrent leur bave à l’intérieur. Elles s’adressèrent ainsi à Georges, d’une même voix et un peu en minaudant, ce qui se traduisait par la tête penchée un peu sur le côté, la bouche en queue-de-poule (pas facile à faire), et les paupières qui papillonnent. Ainsi s’adressèrent-elles à Georges en ces mots :

« Mon cher Georges, frère adoré,  nous sommes si heureuses que tu sois invité par Croquoline. Mais …. ne préfèrerais-tu pas venir avec nous à la pâtisserie de la Bergerie Rouge, celle qui ensorcelle tous les moutons des environs, avec leurs sucreries aux herbes du Tibet ? »

« Ah ! euh ! ben,  p’têt ben qu’oui, quoi, mais euh après quatre heures, car  Croquo, quoquo, quoquo. Bon, on verra demain, tagada t’soin  t’soin", répondit Georges qui ne trouvait pas ses mots.


Le lendemain,

Raquette rencontra Croquoline devant la pâtisserie.

Elle se regardèrent en chien de faïence et commencèrent à se tirer la langue et à se chamailler : « De quel droit est-ce que tu invites notre frère ?  Il est à nous et à nous seules. »

« Par tous les chiens de la terre, par tous les  teckels et les  labradors de Tasmanie, je n’ai jamais rien entendu d’aussi bête et méchant. Georges, mon ami n’appartient à personne !» répondit Croquoline à Raquette, « et puis je l'invite si je veux, c'est mon ami et cela ne te regarde pas. »

Georges arriva sur ses grandes espadrilles. (*)

(*) sorte de chaussures en toile et à semelles de cordes que les moutons portent dans les Pyrénées

« Euh, ben quoi ? qu’est-ce que vous faites ? »

« Mon dieu, qu’il est mou, mou, mou, ce mouton » pensa Croquoline « mais je l’aime bien quand même, car il est naïf et rêveur, et j'aimerais qu'il arrive enfin à se défendre. »

 

Et voici les petites questions sur le texte :

- Est-ce qu'on t'a déjà regardé (e) en chien de faïence ? Comment comprends-tu cette expression ?   Penses-tu qu'elles se caressent du regard, ou bien qu'elles se regardent de travers ?

- Que penses-tu des mots de Raquette : "... notre frère, il est à nous". Penses-tu que ce sont des mots gentils de la part de Raquette ?

ou bien : "mon cher Georges, frère adoré". Est-ce que Raquette le pense sincèrement ? pourquoi lui propose t-elle elle aussi une invitation à la pâtisserie ?

- Que va faire Georges,  ira-t-il au salon de thé  ou à la pâtisserie ?

Chers enfants,

J'attends vos dessins, vos petites histoires, vos déclarations d'amour ou les mots que vous voulez adresser à Georges à    :   plauranice@gmail.com

Bonne journée, et à demain    Laurence-Marie

Bonjour les enfants, nous sommes le samedi 28 mars 2020, Georges le mouton qui porte un nom de roi anglais, a beaucoup de mal à prendre une décision ferme.                                                           

Que va faire Croquoline, son amie teckel ?

                                   CHAPITRE 4                                                       Croquoline a du mal à se faire entendre                                           

Croquette qui n’était pas très loin, rappliqua et mit les pieds dans le plat, car elle se prenait pour une star et aimait faire tout un plat de petits évènements qui n’avaient aucune importance. Sacré cuisinière, Croquette !

« Viens donc avec nous, frérot chéri, et n’écoute pas cette pimbêche de Croquoline, qui te fait du plat, (décidément Croquette, la coquette s’intéressait aux petits plats, pensa Croquoline) alors que nous, nous ne voulons que ton bien et nous, nous t’invitons à la Bergerie Rouge. Ne perdons pas de temps, prends mon sabot et suis moi. »

Croquoline tenta encore une fois un : »Bon, ça suffit maintenant. Georges, c’est à toi de décider ».

Georges prit un air effaré et plein de craintes : »Ben euh, quoi, on verra, oui, on verra ce qu’on verra ! » Il voulut s’esbigner(*), et prendre ses grandes espadrilles à son cou.

(*) patois de la prairie qui signifie "s'enfuir"

A ce moment là, les soeurs, Croquette, Raquette et Pacrette, entraînèrent Georges, dans un nuage de poussière, ou plutôt le traînèrent comme une serpillère. Georges se mit à pleurer. Mais ses soeurs, elles , crièrent victoire (ou plutôt bêlèrent, car c’était des brebis qui ne gardaient pas leur langue dans leur poche) et elles se mirent à chanter une chanson populaire :


« Ils sont amoureux,
De l’eau dans les yeux,
Ils sont amoureux,
Scronieunieu, scronieunieu. »

Et on pouvait entendre, dans la grande prairie toutes les voix reprendre le refrain, en choeur, du cheval à la sauterelle. Croquoline, la teckel,   se boucha ses longues oreilles.

Croquoline était bien dépitée, et même déconfite. Que faire avec un mouton aussi mou, mou, mou. « quel pâté ! (*)»  . Gentil ce Georges, mais pas fûte-fûte et un peu empoté de surcroît. Mais je l’aime bien et je voudrais l’aider et donner une bonne leçon à ses soeurs, mais comment faire ?

(*)expression très familière utilisée dans la prairie des marguerites

La troupe arriva à la Bergerie Rouge, celle  qui ensorcelle tous les moutons des environs. Georges avait  les yeux rouges, et sa belle toison bleutée s’en allait en capilotade.  En effet,  le pauvre Georges n’était pas très ragoûtant et s’en allait en morceaux . Il n’avait plus de forme et se sentait  minable. « Ben ! euh, voilà ! Vous voyez ? » pleurnichait-il.

(*) mot des cousins moutons espagnols, capirotada : ragoût. C’est un plat délicieux fait avec des restes de viande, c’est à dire en morceaux.

Pendant ce temps, Croquoline s’en était allée par le vent mauvais, jusque chez elle. Personne n’avait remarqué qu’elle était partie. Elle pleurait aussi, elle ne voyait plus rien, qu’un chemin noir et sans fin devant elle.

 

A demain, Que va devenir Croquoline ? Va-t-elle abandonner son ami Georges aux mains de ses soeurs ?

 

                 CHAPITRE 5

            A la Bergerie Rouge

 

A quelques milles de là,  à la Bergerie Rouge…

La fête battait son plein. « Plouf, plouf, plouf , patapoum! Un, deux, trois, c’est toi! »  « Tiens, Georges, prends de la Chantilly … et vlan!   Pacrette lui envoya une cuiller pleine de crème sur son museau. « Ben, euh ! voilà».  Georges ne savait que dire.

 

Ils jouèrent à saute-mouton, mais Georges n’arrivait pas à sauter très haut et souvent il finissait patatras par terre, ce qui amusait beaucoup la galerie . Ils jouèrent comme des fous,  à la balançoire et ils mangèrent des gâteaux au pissenlit recouverts de crème.

 

Raquette, toujours prête à faire un coup, eut une meilleure idée, elle lui apporta un bol d’herbe recouverte d’une mousse épaisse, à l’aspect onctueux. Elle dit au pauvre Georges :

 »ferme les yeux, et ouvre la bouche, très grand, là, très bien ! » Georges ouvrit, très grand, très grand  et soudain, s’étrangla, s’étouffa, cracha.«Mais c’est du savon,ce n’est pas de la Chantilly ! "   

Il toussa, il toussa et sa gorge était toute enflammée. Il chercha Croquoline, mais tout à coup il se rendit compte qu’elle n’était pas là. « Où est Croquoline ? » dit  Georges « Où est Croquoline, où est Croquoline?» bêlèrent  Raquette, Croquette , et Pacrette, en répétant ce qu’il disait, et en le singeant.

 

Cette fois-ci, Georges s’énerva un peu. Il ne l’entendait pas de cette manière et décida d’aller chercher Croquoline. Mais avant, il avait certaines choses à dire.

 

                CHAPITRE 6

        Et Georges prit la parole

 

Il se leva, prit une grande respiration, respira, respira longuement … longtemps, profondément, lentement. Il redressa son grand torse et, dit,  oui, il dit, (je vous assure), Georges parla, et soudain les mots lui vinrent comme si une fée lui soufflait doucement ce qu’il devait dire, pour se faire entendre,  pour se faire comprendre.  Et c’était facile, très facile, car  il sentait le souffle protecteur de la fée à son oreille.

 

« Vous, mes soeurs, Raquette, Croquette et Pacrette, vous, là, qui êtes devant moi et riez à mes dépens, je vous accuse, oui, je vous accuse, devant toute cette assemblée,  je vous accuse de méchanceté ! ». Quand il parlait, il s’arrêtait à chaque mot, presque à chaque syllabe et les regardait droit dans les yeux qu’elles baissaient. Et soudain sa toison bleuâtre et sale parut ...   un habit de lumière.

 

Les soeurs auraient voulu se moquer, se moquer, mais … elles ressentaient tout à coup une grande faiblesse, une grande honte, et une grande fatigue. Elles baillèrent et s’excusèrent. Il n'y avait plus aucun mot qui leur venait à la bouche.

 

« Vous, mes soeurs, c’est à vous que je parle. Je vous plains, vous vivez dans la méchanceté depuis que je suis né.  Comme vous devez être malheureuses,  comme votre vie doit être difficile ! 

 

Mais si vous voulez, vous pouvez prendre pension à l’hôpitel*(*mot de la prairie,  qui signifie hôpital et hôtel à la fois) de Moutonville, ils sont très gentils là-bas et  ils vous donneront un lit tout blanc. Ils savent comment faire avec des brebis trop moque-bêlantes*. (*Georges avait inventé ce mot,  et il le prononça lentement, le mâcha comme s’il broutait)». Et tous les  animaux attrapèrent ce mot et le mâchèrent avec plaisir et se le murmurèrent à l’infini des plaines … Et ils firent de même avec tout son discours qui devint leur pensée.

 

 

Aujourd'hui, dimanche 29 mars. Bonjour les enfants !


Tu pourras lire deux chapitres de cette histoire.

Demain, ce sera repos.

Essaie de transformer cette histoire à ta guise (tu te souviens de  "à ma guise", "à votre guise" ... ?)

Ne te demande pas ce que tu pourrais écrire, écris, c'est tout.

Aujourd'hui j'ai reçu une vidéo pleine d'humour sur les difficultés (et j'ajouterais  les beautés) du français. 

Regarde-la !  Elle se trouve à la fin de l'histoire.

A bientôt et bonne nuit.

Chers enfants de France et du monde entier,

Aujourd'hui, nous sommes le 8 avril 2020, trois semaines que nous sommes confinés. Courage ! Le printemps revient avec sa douceur et ses verts tendres et frais. Et voici la fin de l'histoire de Georges, le mouton.

                    CHAPITRE 7

              Les mots de Georges

 

Georges leur avait donné des mots pour qu’ils pensent plus juste, et c’était infiniment précieux, oui,  plus précieux que tous les biscuits du Tibet.

 

« Je vous ordonne (là, l’assemblée était bouche bée, on entendait les mouches voler, on n’avait jamais vu de mémoire de mouton,  un mouton aussi décidé, avec autant de grandeur.) » Etait-ce Georges, vraiment, rayonnant, étincelant, là devant leurs yeux et qui parlait, parlait ?

« Je vous ordonne d’aller chercher Croquoline, et de la porter dans vos bras  jusqu’ ici,  illico et  presto.  Allez ! o u s t e  et que ça saute !     mouton ! «  et tout le monde se mit à rire, pour des moutons cela ressemble à des milliers de bêlements, entre roucoulements de pigeons et   glougloutements de dindon. Autant vous dire, que le rire est très communicatif.

 

Et ce fut une joyeuse farandole jusqu’à la maison de Croquoline. Seules les trois soeurs, vexées, honteuses, se trouvaient à la queue et avançaient en traînant les sabots. Pas très belles, les trois stars, et muettes de surcroît.

Et ce fut une fête incroyable, qu’on avait jamais connue de mémoire de mouton. Quelle joie ! quelle ambiance !

 

Et c’est ainsi, que la paix revint dans la prairie aux mille marguerites et surtout dans le coeur de Georges, qui était devenu un sage que tout le monde venait consulter. Georges resta avec Croquoline et se fit une multitude d’amis. Les soeurs petit à petit ne cherchèrent plus à se moquer. C’était devenu inutile. Peut-être s’étaient-elles rendu compte qu’elles vivaient mal avec leur méchanceté et peut-être avaient-elles décidé de changer de comportement car c’était beaucoup plus amusant et sympathique.

 

Qui eût pensé qu’un jour Georges parlerait et dirait clairement ce qu’il voulait ? ce qu’il aimait ? et qu’on l’écouterait ?

 

Désormais, tous les ans, à la même date eut lieu une fête des moutons, extraordinaire, dont l’écho se répandait par delà les montagnes, les fleuves, les mers, et les plaines. Et tous les animaux de la terre écoutaient.

 

Ils appelèrent ce jour,  la Fête de la Réconciliation. Tous, même Sifflet en connaissait l’adage, qu'on apprenait dés que l'on marchait.

 

« Ah quoi bon se détester, quand on peut ne pas

se détester.

A quoi bon se moquer quand on peut ne pas se moquer,

Entrez dans la danse et honni soit qui mal y pense.

La danse, la danse, la danse,  oui, on préfèrera

A la guerre, à la guerre, non, non, non,

Jamais, jamais, jamais »

 

Ce jour là, tous les moutons se faisaient beaux, et se tenaient par le sabot, en se balançant de droite à gauche, tous ensemble.

 

Ils firent une chanson, une sorte d’hymne qu’ils chantaient (bêlaient plutôt, mais pas moque-bêlaient) en choeur et avec coeur comme des frères et des soeurs.

 

Nous les  moutons de  la prairie,

Nous sommes tous unis et tous amis.

Entre nous  point de  moquerie

Foin de Raquette, et de Croquette

Foin de Pacrette,

Par la volonté de Croquoline,

Entendez dans les prairies,

La voix de Georges qui vous dit : »

 

Et on reprenait depuis le début … en tapant des sabots en cadence. C’était très beau et tout le monde était heureux.

 

C’est ainsi que Georges devint le mouton le plus aimé de la prairie.

 

                        FIN

Ate

Atelier d'expression orale, avec ton papa, ta maman, ou un grand frère, une grande soeur, un grand-père, une grand-mère ... ou qui tu veux.

1) Comment Georges a-t-il réussi à changer les choses et à retourner les moutons en sa faveur ?

2) Penses-tu que Georges a eu raison de parler à tous les moutons ?

3) Quels sont les mots importants qu’il utilise ?

4) Que fait-il avant de commencer à parler ?

5 ) Est-ce que tu aimes comment finit cette histoire ? Aurais-tu préféré une autre fin ? Laquelle ?

 

Ajoutez des commentaires à cet article. Avez-vous aimé cette histoire ?

... Bonne nuit.

 

les beautés du français par nos amis canadiens

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MONTAIGNE ET CESAR

J'ai mis plusieurs semaines à écrire cet article. Il avait besoin du temps de l'écriture.

En ce jour pluvieux et frais de mars,  j'ai appelé Montaigne de toutes mes forces.

Ce blogue n'a pas vocation à être une tribune de l'actualité,  il se dédie à l'écriture et à la lecture, donc à lire les mots qui s'échangent et s'écrivent. Les oeuvres cinématographiques  nourrissent l'imaginaire, et s'adressent à ceux qui les lisent.

L'écriture permet la réflexion par sa lenteur et la concentration qu'elle demande. Elle permet de retrouver le fil d'une pensée. La lecture apporte des ancrages de réflexion, et de méditation.

Je reste en dehors des bruits du monde, que je trouve trop rapides, pour moi, expéditifs, obéissant à d'autres lois que celles de la réflexion. Merci à Juliette Binoche, qui vient juste de témoigner de son sentiment vis à vis de cette parodie de cérémonie.  Comme j'avais vu le film de Roman Polanski, les bruits ont fait irruption dans ma vie avec tout leur vacarme,  et ce que j'ai entendu m'a effrayée. Je ne suis pas indifférente au monde,  à ses mutations.

La lecture et l'écriture ne sont pas un repli, mais un éveil.

Il m'a semblé nécessaire, non pas de dénoncer, mais de pointer certains manquements. 

Mon opinion importe peu, ce qui importe c'est le chemin de l'écriture vers une ébauche de pensée. Car je dois dire, que certains mots, certaines paroles m'ont effarée, par leur inconsistance, leur excès.  J'ai ressenti le besoin de prendre du temps et d'écrire.

Tout excès recouvre une absence, un manquement, une inconsistance, une insignifiance, , une faiblesse, une inanité, une grossièreté de la pensée.

C'est comme cela, je n'ai jamais pu m'associer à des mouvements de foules dont l'expression première était la haine.

Je ne suis pas juge,  de quel droit puis-je condamner ?

Je m'associe évidemment à la douleur des femmes violées, de toutes les femmes violées, mais ce n'est pas parce que nous sommes des femmes que nous devons piétiner le droit de tout homme à la présomption d'innocence, et à la prescription de faits ayant eu lieu il y a trop longtemps.

Je ne suis pas juge, de quel droit puis-je condamner ?

Je suis persuadée qu'il faudra prendre un peu de hauteur (s'envoler en somme) et de lenteur pour que mon opinion puisse être audible, ou du moins se frayer un chemin au milieu du vacarme. Je ne connais rien de mieux que les écrivains ou les philosophes pour puiser des forces dans leurs écrits.

La philosophie peut nous venir en aide, nous maintenir dans un questionnement salutaire  et surtout peut  nous aider à garder nos croyances,  nos émotions, nos vociférations primitives à bonne distance,  les unes et les autres toujours prêtes à prendre le visage des dogmes et des juges,  et de tous les gardiens d'idéologies en -isme. 

Les  jugements à-priori, au couteau,  ne sont-ils pas les seuls points d'appui pour les pensées paresseuses et démonstratives en bruits et fracas, mais sans rime ni raison ?

Je ne peux me fier à mon jugement immédiat.

J'ai perçu des cris, des rages, des mots qu'il vaut mieux laisser passer.

Que veulent dire ces cris, ces rages mondaines, ces nouveaux dévôts  qui .... puissé-je avoir la prose de Molière, seraient bien vite renvoyés en quelques mots  à leurs ignorances et leurs manquements, avec humour. Ils desservent la cause même qu'ils veulent défendre et la rendent indéfendable.

Il me semble que  ce dont nous souffrons actuellement le plus, c'est d'un manque de doute, de questionnement, d'un manque de réflexion. Dire simplement : "je ne sais pas, mais je vais réfléchir" serait rafraîchissant.

Il faut du temps ... Que le temps me soit rendu, car il faut du temps, pour créer, penser, écrire et lire.

Mais non, on parle, on fait du bruit,  ... on  frappe, on fait  mal. L'opinion se fait bavardage nauséabond car elle prend sa source dans son propre bavardage qui a tendance à s'enfler pour convaincre, mais qui en réalité tourne sur lui-même, impuissant à signifier.

On veut dire "des vérités", "sa vérité". La vérité! Voilà un mot sur lequel il faut s'interroger également si on veut garder aux mots leur force et leur justesse.

Il serait bon de relire "1984" de George Orwell, et de comprendre ce qu'est la novlangue, ce langage corrompu, rigide d'un monde totalitaire qui se sert de cette langue pour corrompre la réalité.

La paix signifie la guerre,

La vérité signifie le mensonge,

La justice signifie l'injustice

Humain signifie inhumain

L'amour signifie la haine

J'ai entendu des propros lancés à la volée, des propos inquisiteurs, attendus, plats, relayés par des médias, qui en font des gorges chaudes tout en mettant en avant leur "volonté de témoigner de la parole des femmes". Il y aurait beaucoup à dire sur cette parole des femmes. On est précisément devant une réalité corrompue par un langage officiel et bien pensant. (entendre les paroles du Ministre de la Culture).

Je peux parler de ce film, qui nous est donné à voir. Je veux regarder cette oeuvre d'art. Pour le reste ... Je dis et j'affirme que je ne sais pas.

Dors,  dors ô mon beau silence, Berce moi car j'ai froid.

Je ne peux pas juger, de quel droit  puis-je condamner,   vitupérer,  accuser ?

"J'accuse" est un  film fort et singulier. Roman Polanski nous offre la beauté de son cinéma. Je veux le recevoir comme un cadeau, c'est le pouvoir du cinéma lorsqu'il se fait art. Jean Dujardin, Emmanuelle Seignier, Louis Garrel jouent juste.

La scène d'ouverture du film, me restera comme une des meilleures scènes de cinéma. La cruauté, comme une idée personnifiée,  y est magnifiquement filmée  par Roman Polanski. Une mise en scène qui  porte cette cruauté à des sommets, absente de paroles mais orchestrée comme une force qui écrase, qui dégrade.  Un lynchage officiel, cérémonial ... mais presque "pornographique"  au sens de Faulkner (mot rapporté par Isabelle Huppert, répondant à un journaliste sur ce qu'elle pensait des Césars, des jours après)

D'un côté le pouvoir de la force d'état qui organise la mise en scène de la dégradation de Dreyfus, et l'homme dégradé et condamné, seul face à l'injustice qui lui est faite.

Le geste de dégradation est un geste qui dégrade autant celui qui le commet que celui qui le subit. Le spectacle organisé en fait un geste pornographique.

D'aucuns y verront une parabole des accusations dont se défend Roman Polanski.

Je me souviens  de Tess avec Nastassja Kinski, et du Pianiste avec Adrien Brody, et je pense que Roman Polansky est un grand metteur en scène et ses oeuvres sont à voir et à revoir.

Sa récompense aux Césars est plus que méritée.

Pour le reste, je veux parler des accusations dont il fait l'objet, qu'en savons-nous ?

Ce dont je suis sûre, c'est que je ne peux ni  juger ni condamner.  La vérité est peut-être un mensonge.

Montaigne nous met en garde contre nos jugements.

Je voudrais aller chercher une piste de réflexion dans la (re-)lecture des Essais de Montaigne, vers lequel je me tourne souvent lorsque je me sens perdue, sans voix face à des jugements  qui semblent être sans fondements réels.

Je citerai Les Essais de Montaigne selon une lecture d'Hervé Caudron, professeur agrégé de philosophie,   et prendrai des phrases à méditer dans le chapitre du Jugement :

"Le jugement tient chez moi un siège magistral ..." Montaigne, Essais, III, 13.

Ainsi, de son lointain XVIème siècle, Montaigne nous parle et nous dit que nous (les hommes) sommes toujours prompts à juger (promptement).

Nous formulons des avis, nous exprimons des opinions qui révèlent nos convictions, notre point de vue personnel. "Le jugement est un outil à tous sujets, et se mêle partout" (I, 50).

Voulant réfléchir, au moins pour lui-même, sur les conditions d'un jugement éclairé, conscient de ses limites, Montaigne est amené à dénoncer, et cela d'un bout à l'autre des Essais, l'habituel dérèglement de notre esprit, prompt à se croire infaillible".

Il cherche à comprendre la logique d'un tel dogmatisme.

Comment nos opinions parviennent-elles à se croire indiscutables ? Comment des préjugés réussissent-ils à se développer, à s'étendre, à proliférer jusqu'à devenir des évidences pour presque tout le monde ? Comment deviennent-ils des vérités-mensonges ?

Comment l'opinion publique pèse t-elle sur les convictions de chacun ?

Ainsi nous parle Montaigne.

Témoin des pires cruautés et des injustices les plus criantes, Montaigne voit trop bien les conséquences du dogmatisme,  pour ne pas s'alarmer et écrire. (Je rappelle, qu'en France, au XVIème siècle, règnent les guerres de religions).

Il sait que l'opinion publique, se montre capable de conduire à des lynchages  : il lui suffit parfois de répandre des convictions haineuses sans fondement, vite amplifiées par la rumeur.

Bien juger est difficile et demande du temps. Comment l'opinion de la foule serait-elle assurée d'être vraie quand elle se laisse séduire par l'apparence et porter par l'émotion?

La folie partagée passe aisément pour du bon sens. Elle n'en est pas moins folie.

L'important n'est pas d'échapper au sentiment, à l'émotion , à la passion, mais de préserver sa liberté de jugement. Une forme d'aliénation commence chez celui qui n'est plus capable d'installer la moindre distance avec ce qu'il éprouve.

Et Montaigne nous dit  également :

Dans la colère, par exemple, nous nous laissons emporter par l'émotion. Plus rien ne compte que l'envie d'en découdre. Si nous souffrons, il nous faut un coupable, quelqu'un sur qui faire porter toute la responsabilité de ce qui nous arrive. Quitte à le construire de toutes pièces ... Nous n'avons pas toujours, hélas, besoin qu'un fait soit établi, avéré et "suivant cet usage, nous savons les fondements et les causes de mille choses qui ne furent jamais" (III, 11) Construire notre raisonnement sur une fiction ne nous fait pas peur. Plus précisément, nos raisonnements, qui peuvent être très ingénieux, sont commandés par le besoin de confirmer en permanence des convictions sans fondement. La folie aime croire qu'elle raisonne en  s'appuyant sur des observations indiscutables, sans voir qu'elle confond les "faits" et ses propres divagations.

La première forme de liberté intellectuelle, n'est-elle pas (selon Descartes qui reprend l'analyse de Montaigne) de savoir suspendre son jugement, faute de preuve ?

Je terminerai cette réflexion sur cette délicieuse phrase de Montaigne :

"La peste de l'homme, c'est l'opinion de savoir"(= c'est penser qu'il sait). Ainsi, croyant avoir raison, il nous semble vite inadmissible qu'on puisse s'obstiner à juger autrement que nous.

Voilà quelques phrases à méditer et qui seront ma réponse à cette polémique, éclairée par un esprit riche et libre du XVIème siècle, Montaigne. Je ne peux que vous encourager à lire et relire Montaigne.

Par ailleurs, relire Montaigne me relie à ma propre langue, savoureuse. Je me sens très proche de Montaigne, qui m'accueille par ses mots, ses phrases, avec générosité et rigueur. Le plaisir de lire et de raisonner, résonnent comme une musique sensuelle.

Dans la salle où a lieu la remise des Césars,  on a pu entendre une voix courageuse qui dit sans trembler et avec le sourire : "j'aime beaucoup Roman Polanski, et je suis très, très heureuse qu'il ait été récompensé. On peut ne pas être d'accord bien sûr, à condition de préserver la liberté d'opinion" Dans cette salle, où il était de bon ton d'accuser (je vous laisse continuer la phrase), la voix de Fannie Ardant était fraîche,  libre et courageuse.

Sur  les ondes, quelques jours plus tard, Isabelle Huppert évita aussi de tomber  dans le piège de l'emprise de l'opinion publique et proposa une méditation sur le mot "lynchage" qui pour William Faulkner est associé à "la pornographie".

Méfions-nous de nos jugements !  Quelle est la part des faits, et de ce que nous voulons faire dire aux faits ?

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(Je voudrais rappeler la conviction suspecte de Marguerite Duras sur la culpabilité de Christine Villemin, la mère de Grégory, le petit garçon de quatre ans retrouvé noyé et ligoté dans la Vologne.  Marguerite Duras a été aveuglée, et ignorant tout, pensait savoir).

J'ai lu les livres de Marguerite Duras et je les ai aimés, mais  je déplore sa faiblesse de jugement dans l'affaire Villemin, son attitude, son manque de discernement, de jugement. 

Elle écrit un article à scandale, « Sublime, forcément sublime », où elle décide que Christine Villemin est coupable. 30 ans plus tard, cet article controversé résonne toujours.)

C'est le pouvoir de l'art (son mystère) que de nous amener à mettre en doute nos trop grandes certitudes, qui sont souvent le fruit de notre aveuglement et de nos fantasmes. Ces fantasmes nous paraissent plus réels, car plus immédiats, plus séduisants, brûlants mais en fait,  ils sont cousus à la hâte, par les  fils de l'émotion qui doit se décharger coûte que coûte, et tout de suite.

L'Art va contre nos convictions et l'opinion publique. L'Art, comme le philosophe est peut-être au-dessus de la cité ?

L'Art n'avait pas sa place ce soir-là dans les paroles vulgaires qui ont été prononcées à la séance de remise des Césars. L'Art s'était absenté, s'était envolé vers d'autres lieux, d'autres contrées, avait migré,  estivé. Il s'était échappé. Il n'avait pas sa place, se sentait à l'étroit, l'air était irrespirable, il étouffait. Il avait perdu ses voiles de mystère et ses "semelles de vent".

Reviendrait-il ?

Dans cet article, j'ai abordé les mots suivants :

- Jugement

- opinion, réaction

- Vérité / Mensonge

- Art

- colère, émotion

- réflexion, pensée

Auteurs cités :  Georges Orwell (1984)

                           Montaigne (Les Essais)

                           Faulkner

                          Marguerite Duras (Interview)

 

Pour terminer ce long monologue, j'espère recevoir non pas des réactions mais des commentaires pensés et pesés,  qui ouvriront les esprits à d'autres réflexions.

Ce sera l'atelier  d'écriture que je propose aujourd'hui.

Je voudrais terminer mon article par les paroles d'un poète :

Le vent se lève !… Il faut tenter de vivre !
L’air immense ouvre et referme mon livre,
La vague en poudre ose jaillir des rocs !
Envolez-vous, pages tout éblouies !
Rompez, vagues ! Rompez d’eaux réjouies
Ce toit tranquille où picoraient des focs !

Paul Valéry   (1920) Le Cimetière Marin - extrait

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