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chemins de lecture

SUR LE CHEMIN POETIQUE ET SPIRITUEL DE CHRISTIAN BOBIN

Couverture : Christian Bobin (photo

Couverture : Christian Bobin (photo

L'écriture de Christian Bobin

Christian Bobin est un poète. On pourrait s'arrêter à ces mots pour le décrire, en s'en tenant à ce qu'il confie de son écriture : "Je vois la chose et elle revêt immédiatement son manteau de langage". Il n'y a pas de frontière entre Christian Bobin et sa poésie. Le poète et la poésie cheminent ensemble.

Christian Bobin est né en 1951 au Creusot qu'il n'a jamais quitté.

Il vit dans son modeste logement du Creusot, situé dans une ancienne caserne de pompiers, dans sa solitude, son attention au monde et aux rencontres quand elles se produisent. Brefs instants intenses entre le spectacle divin des genêts en fleurs ou d'une dame en rose. "Il faut que je reste au plus près de ce que j'ai senti, repéré".

"La poésie, c'est vital". Le poète est un éveilleur d'impressions immédiates. C'est ainsi qu'il entend la pluie un matin, sensation immédiatement recouverte par "les applaudissements de la pluie" qui semblent accueillir le point du jour. "Louis XIV n'aurait pas reçu meilleur accueil". Ces deux images, éloignées l'une de l'autre,  se juxtaposent, donnent du sens et une dimension étrange.

 

Je prends les mots de Christian Bobin au hasard des pages. Ils sont tous à méditer, à aimer :

Dans : La grande vie, 2014

"La voix de mon père avait quelque chose de la croûte d'un pain chaud. Elle s'ouvrait, se donnait, était par elle-même nourricière. Votre voix à vous (*) : le chant d'une rivière inquiète  qui ne dort jamais. Ce n'est pas une image. Je vais chercher là-bas de quoi éclairer ici. C'est ce qu'on appelle "poésie", n'est-ce-pas ?"

(*) Christian Bobin évoque la voix de son amie de plume, Marceline Desbordes-Valmore, poétesse du XVIIIème siècle.

 

"Ce qui manque à ce monde, ce n'est pas l'argent. Ce n'est même pas ce qu'on appelle "le sens". Ce qui manque à ce monde c'est la rivière des yeux des enfants, la gaieté des écureuils et des anges." ...

Et, dans un autre chapitre sur Marilyn : 

"Marilyn a quelque chose de déchirant. Elle est perdue, mais ni plus ni moins que vous ou moi, n'est-ce-pas, une fois que nous avons enlevé le maquillage de nos conforts, de nos savoirs et de nos croyances. Il n'y a que les nuages qui ne sont pas perdus. Et les fleurs des prés. Et les bêtes dans les bois. .... Marilyn suivait l'étoile désorientée de sa folie. Son visage constamment épousseté par les lumières des photographes est celui d'une poupée papillonnant des yeux et de l'âme, souriant à ses assassins."

"Même cette nature si belle est indifférente ..."

"Même cette nature si belle est indifférente ..."

SUR LE CHEMIN POETIQUE ET SPIRITUEL DE CHRISTIAN BOBIN

j'ai également consacré un article à Pierre Soulages et je suis arrivée à pieds à Conques au pieds de la Cathédrale ...

SUR LE CHEMIN POETIQUE ET SPIRITUEL DE CHRISTIAN BOBIN

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LES SCINTILLEMENTS DU DESIR - TROIS POETES A ECOUTER

Aujourd'hui, je vous invite à "La grande Librairie" avec François Busnel, une émission que j'affectionne particulièrement (sur la 5 le mercredi soir).

François Busnel ne reçoit pas seulement les écrivains. Il les   accueille, les lit, les écoute et les laisse parler. Et c'est passionnant. Il accueille  leurs fragilités et leurs forces et nous nous laissons bercer par les mots.

La Grande Librairie du 17 Mars 2021 consacre son émission à trois poètes, et c'est un  rideau qui se déchire sur la lumière qu'ils nous offrent avec simplicité et modestie. Une merveille et des idées de lecture.

 

 

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AU BOUT DE LA NUIT LA LUMIERE - CHARLES JULIET - L'HOMME QUI MARCHE

Charles Juliet : Le jour baisse

Charles Juliet : Le jour baisse

Charles Juliet vient de publier deux livres et c'est un évènement. J'espère, grâce à cet article,  vous donner l'envie de  les lire  calmement et profondément.

Car Charles Juliet se déguste, s'apprivoise et on ne le quitte plus.

 

 

 

Avec le titre de cet article, je pèse mes mots, chaque mot, afin de ne pas peser sur ce que représente l'oeuvre de Charles Juliet  immense, et que fort heureusement je n'ai pas fini de découvrir. J'ai cherché un titre qui reflète la personnalité de Charles Juliet et j'ai rêvé en lisant ses deux derniers livres que je l'accompagnais un instant sur son chemin, en effleurant chaque mot, comme des pas qui avancent sans bruit vers la lumière.

L'homme qui marche, c'est peut-être lui ou celui de Giacometti.

Je lis et je relis et je ressens toujours le même plaisir. Peut-être cela vient-il du fait que Charles Juliet amène ce qu'il dit avec prudence, cherchant une vérité qui parfois se réfugie plus volontiers dans le silence que dans les mots. Son silence est perceptible, et à ce moment là, on tourne délicatement les pages de son journal, de peur de réveiller quelque chose qui préfère rester tapi dans l'ombre.

Cela vient peut-être de la marche qui parcourt ses écrits. La marche est terrienne, elle nous enracine et accroche les pas aux mots et les mots aux pas. Elle se fait aussi silence et rêve.

Ainsi j'ai pu lire au cours des dernières années quelques uns des livres de son journal, publiés régulièrement chez P.O.L. Voici quelques uns des titres : 

- Traversée de nuit   Journal II    1965-1968

- Accueils                  Journal  IV  1982-1988

- Apaisement            Journal  VII  1997 - 2003

- Gratitude                 Journal IX    2004-2008

On perçoit le chemin à travers ces titres, beaux comme des moments dentelés. Des moments tissés fil après fil, des moments intenses. On lit, on lit et on ne s'en détache plus.

Bien sûr j'ai également lu Lambeaux  Gallimard - Folio (l'histoire de ses deux mères : l'esseulée et la vaillante, l'étouffée et la valeureuse,  ), et Au pays du long nuage blanc chez Gallimard, Folio (son voyage en résidence à Wellington en Nouvelle-Zélande).

L'année de l'éveil     Folio N° 4334 - récit de ses années passées comme enfant de troupe.

Ainsi que : L'incessant, Théâtre publié chez P.O.L.

 

Chaque moment de son journal semble important, vécu, et parfois plusieurs fois au cours des années.  Et je vis avec lui entièrement  ces (ses) rencontres, ces (ses) réflexions, toujours personnelles, singulières.  Je me trouve face à  mon propre miroir et me reconnais souvent dans ce qu'il écrit. Il ne s'occupe pas des modes, des tics de l'époque, il va sur son chemin, vers l'humain qu'il est, toujours plus près, et toujours plus près de sa vérité. Charles Juliet n'en finit pas de naître à lui-même, avec une sincérité et un style à lui, qu'il veut dépouillé de l'égo (qui embarrasse, orne le moi de  trompe-l'oeil, gonflé d'orgueil et de suffisance).

Je me demande, mais cela n'appartient qu'à moi-même, et je ne suis pas sûre que Charles Juliet adhèrerait à ce que je dis : Brisé, séparé de sa mère,  alors qu'il n'avait pas encore le langage, Charles Juliet, poète de l'absolu, tente de rejoindre ce moment ou il était entièrement dans ce qu'il ressentait, et n'avait pas les mots. Cette blessure à laquelle il revient, inlassablement est la source de son écriture, elle est inséparable de son écriture et c'est bouleversant. Mais il y a autre chose aussi, le mystère de la naissance de cette écriture, qui continue son chemin, ses méandres,  inlassablement.

j'écris aussi un journal depuis de longues années.  Je trouve beaucoup de connivences, de sensibilités proches, mais son journal lui appartient et je me sens à sa lecture comme une invitée privilégiée au bord de ses mots. La poésie est pour moi également la langue la plus proche de l'indicible, proche du langage musical ou de celui de la danse, proche du corps et de l'esprit. Je trouve en Charles Juliet, une langue que je comprends et que je savoure sans empressement. Charles Juliet a besoin de temps, il le prend, et "je me hâte lentement" à le lire. 

Si vous n'avez pas encore rencontré Charles Juliet, lisez son journal, qui est le  témoignage de sa vie d'écrivain.  L'enfant, adopté par une famille suisse aimante, qui vit dans l'Ain,   est un petit paysan  qui connait mieux les champs et les vaches que les livres, car chez lui, il n'y a aucun livre. Lire son journal du début jusqu'à maintenant, c'est aussi assister à la naissance d'un grand écrivain, qui  utilise la parole avec précaution, qui la rend précieuse donc. Il sait l'engagement que les mots portent en eux, et se veut un écrivain "de peu de mots", paradoxe qui donne le vertige et la mesure de la profondeur  de ses écrits.

 

J'ai pris avec moi  : Le jour baisse  Journal X  2009-2012 et  Pour plus de lumière, une Anthologie personnelle 1990-1992,  un recueil de poèmes qui dit (selon ses mots) sa connaissance de l'expérience intérieure dont ils sont nés.

J'avais commandé ces livres au début du deuxième confinement auprès de deux libraires que j'affectionne particulièrement et qui font vivre la librairie indépendante "Les journées suspendues" à Nice. J'ai donc eu le plaisir d'aller les chercher comme un cadeau du ciel. Quelle récompense !

 

Les mots les plus simples, les plus justes. Une entreprise rigoureuse et exigente (télérama 3695)

Les mots les plus simples, les plus justes. Une entreprise rigoureuse et exigente (télérama 3695)

RIMES RICHES  _ POESIE  

Le choix de Télérama  N° 3695

 

cela

    comment le nommer

    comment l'inscrire

    en un poème

 

cela

   qui fissure

   chaque instant

   me coupe

   du quotidien

   vide de sa substance

   ce qui m'est accordé

 

cela

   qui me porte

   me jette en affamé

    à la rencontre de la vie

    fait monter

    au-devant de mes pas

    cette lumière

    que je ne peux atteindre

 

Extrait de , L'autre chemin  in  Pour plus de lumière. Anthologie personnelle 1990-2012

Ed. Poésie/Gallimard  448p.   11,30 euros

 

 

Le meilleur hommage à Charles Juliet est ce qu'il écrit lui-même, et je vais m'adonner au difficile exercice de la sélection, forcément arbitraire ... Ne tenant aucun compte du temps, de la chronologie ou des associations d'idées qui tissent la toile serrée de son oeuvre.

Je choisis le passage de sa rencontre avec Bram Van Velde, évènement fondateur où Charles Juliet va voir apparaître les mots comme une possibilité, un terrain d'expériences, d'amitiés, de partage.

p 79  de : Le jour baisse   Jounal X  2009-2012 chez P.O.L.

En 1964, un jour d'automne, à Paris, sans but, il "hume l'air de Paris".

"Un matin. Paris dans le brouillard. Je flâne boulevard Saint-Germain, plein de ferveur et d'ennui. La ville inconnue m'angoisse. J'ai devant moi toute une journée que je ne sais à quoi employer. Je n'ai même pas un peu d'argent pour aller rêvasser dans un café. Comment tuer le temps ? Je n'ose pas entrer dans une librairie et je ne peux envisager non plus  de me risquer dans un musée.

En marchant je tire de ma poche un petit carnet et je le feuillette. Parmi les notes, se trouve l'adresse d'un peintre, un certain Bram Van Velde. Descombin, un ami sculpteur, l'a rencontré, et cet homme lui a fait une forte impression. Je me souviens même de la phrase prononcée par ce peintre et que le sculpteur m'avait citée : En peignant, je cherche le visage de ce qui n'a pas de visage. A l'époque je comprenais cette phrase sans la comprendre et j'avais maintes fois cherché à saisir ce qu'elle signifiait."

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Il décide de lui rendre visite, se trouvant justement à côté de son appartement.

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A cette époque, je ne savais rien de la peinture, et bien évidemment rien de cet homme, rien de son oeuvre. Intimidé, en plein désarroi, je découvre que je n'ai rien à lui dire. Le silence se fait lourd. L'homme regarde par la fenêtre, et à plusieurs reprises, son regard m'effleure et interroge. Tout en m'efforçant de dominer mon affolement, je cherche à rassembler le courage de lui dire que je le remercie de m'avoir reçu et de vite me sauver, mais les mots que je prépare ne parviennent pas à franchir mes lèvres. Je suis effondré et furieux contre moi. De longues minutes s'écoulent.

Comprenant sans doute ce qui se passe, il propose que nous allions marcher dans la rue. Une fois dehors, j'arrive à lui poser quelques questions et une conversation s'engage coupée de longs silences.

Nous allons et venons dans les allées du Jardin du Luxembourg. Puis comme la nuit tombe, il m'invite à dîner, et la rencontre qui avait failli tourner court, s'est achevée à minuit.

Ainsi est née une relation qui s'est progressivement muée en amitié."

...

Quelques paroles tirées de Rencontres avec Bram Van Velde.

- C'est par la misère que j'ai approché la vie.

- Ce qu'il faut, c'est se laisser dominer.

- L'important, c'est de n'être rien, mais n'être rien, simplement rien, c'est une expérience qui fait peur. Il faut tout lâcher.

- Plus on est perdu, plus on est poussé vers la racine.

- Celui qui n'a pas connu l'écrasement ne connaît pas la vie.

- Pour l'artiste c'est tout ou rien. Si ce n'est pas tout, ce n'est rien. 

- L'artiste est le porteur de la vie.

- Ce qui m'a frappé au long de mon existence c'est l'immense lâcheté des hommes face à la vie. Une lâcheté véritablement sans limite.

- L'artiste est celui qui doit veiller sur son être.

- Les multiples pouvoirs du faux et l'extrême faiblesse du vrai, c'est cela le tragique.

- Il est difficile de garder l'oeil sur le tout.

.....

Ainsi va Charles Juliet, page après page, accueillant les paroles qui le font avancer, qui le tiennent debout,  ensemble parmi ses lambeaux.  

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Goûtez également les poèmes de Charles Juliet dans :

Affûts - 1990 in Pour plus de lumières - Anthologie personnelle 1990-2012

Poésie/Gallimard.

un extrait de Affûts : p62

mais ce cri 

de l'attente

que fissure

le doute

accroché au flanc

de la paroi

 

c'est là que tu veilles

interroges

écris

cherches à gagner

en hauteur

dominer le vertige

élargir ta vision

 

et tu observes

scrutes notes

guettes cette lumière

qui semble monter

derrière la crête

 

puis à bout  de fatigue

revenu à tes semblables

tu voudrais parler échanger

donner ce que tu as vu

 

ils t'écartent

 

poursuivent en hâte

leur chemin

 

tu creuses

tu rampes

tu t'ouvres

un passage

 

mais tu n'es

jamais

prêt

 

jamais assez

aguerri

 

jamais digne

d'affronter

la rencontre

 

alors tu lis

enquêtes sondes

questionnes

 

et sans relâche

tu progresses

 

puis te portes

d'un bond

au plus extrême

 

et là

            doigts gourds

            mains tuméfiées

au lieu de rafler

ce dont tu espérais

te saisir

dans un trouble

infini

tu palpes

le mystère

 

La préface écrite par Jean-Pierre Siméon, en petits paragraphes thématiques, forme un portrait ciselé dans l'étoffe même dont est fait Charles Juliet. Tout parle, dit, insuffle, prend vie au plus près de la vérité complexe de la simplicité désirée de Charles Juliet. Son dépouillement.

Je vous en choisis un passage mais je voudrais vous lire cette préface toute entière ...

P19

LE MOT NU, LE MOT NU

Eliminer, effacer, cherche le "nu perdu" (l'intérêt que Char a manifesté pour Juliet ne pouvait décidément pas être de pure courtoisie), c'est, quant à l'écriture, l'artisanat quotidien du poète. Quitter les peaux mortes, cet intime travail de deuil, "dénudation qui prépare la vue de la seconde naissance", ne peut en effet se concevoir que dans un égal effort d'arracher les mots à leurs gangues, polysémie errante, épithètes dorées, bimbeloterie sonore ... Discipline du peu et du moins. La récurrence du mot "nu" dans la poésie de Juliet agit comme le rappel d'un la, elle remémore, comme une clause de conscience, la juste tonalité morale à quoi doit s'accorder la voix.

"Dans cette juste / lumière/ demeurer/ nu" : c'est-à-dire neuf, recommencé et réuni. Le nu est l'envers de l'un.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le livre qui raconte comment il fut dépossédé de sa mère

Le livre qui raconte comment il fut dépossédé de sa mère

A la Grande Librairie avec François Busnel France 5 20h50 le mercredi.

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CEUX DE 14 - MAURICE GENEVOIX - LE POETE DES POILUS, DES ANIMAUX ET DE LA LOIRE

Je voudrais rester à jamais sur le versant du soleil (Maurice Genevoix)

Les trente mille jours

Le soldat Maurice Genevoix  né en 1890 dans la Nièvre

Le soldat Maurice Genevoix né en 1890 dans la Nièvre

Soldat, poète, ami des "bêtes" et de la nature

Soldat, poète, ami des "bêtes" et de la nature

Les trente mille jours - Les bords de Loire, La Sologne

Les trente mille jours - Les bords de Loire, La Sologne

Le charme singulier de Maurice Genevoix joue ici, plus puissamment encore que dans aucun de ses livres. D’une enfance sur les bords de la Loire au secrétariat perpétuel de l’Académie française, en passant – surtout – par l’effrayante déchirure de la Grande Guerre, ces pages retracent neuf décennies de fidélité à soi-même. Qu’il évoque une marche au brame dans les forêts de Sologne, le regard des compagnons massacrés dans la boue des Éparges ou les premières terreurs d’un enfant découvrant la mort, Maurice Genevoix témoigne de la même douceur obstinée, de la même 'justesse' au sens fort qui nous font complice fraternel de sa mémoire. Il y a dans ces Trente mille jours paisiblement restitués l’illustration – et l’explication – du "mystère Genevoix".

"Les misères, les horreurs dont j'avais si souvent pantelé, la nostalgie poignante qu'elles faisaient se lever en moi, l'angoisse et aussi le regret, à chaque minute ravivés, de perdre à tout jamais tout ce que j'avais aimé, visages, ciels, lumières sur l'eau, bleu d'une forêt sur l'horizon, l'ivresse soudaine et pathétique de revoir, de reconnaître, d'aimer et d'aimer mieux encore tout cela qui m'était redonné" Les Trente Mille Jours" Maurice Genevoix.

Qui lit encore Genevoix ?   J'avais lu Raboliot à quinze ans. Mais c'est seulement en 2014 que j'ai rencontré Maurice Genevoix à la bibliothèque Raoul Mille à Nice où j'ai pris son livre "Les Trente mille jours". Je m'attendais à un style un peu raide et ce fut tout le contraire.  Il reste  un émerveillement, par la finesse de sa perception, de ses sentiments, de son humanisme. Ne pas le lire c'est se priver d'une voix singulière, particulière,  inoubliable et d'une jeunesse éternelle. Comme toute voix singulière, elle se différencie et s'imprime en nous. Ses mots sont non seulement précis et justes, mais ils font partie de la beauté du monde. Ils affinent notre vision, et ils font du bien à l'âme.

Si Maurice Genevoix écrit comme cela c'est que l'on peut revenir de l'enfer ... et peut-être en sortir.

La voix de Maurice Genevoix, j'aimerais qu'elle arrive jusqu'à vous, dans toute sa simplicité, sa vérité.

Pourquoi lisez-vous  cet article? que cherchez vous à travers le  regard de ces  jeunes soldats ? Cet écrivain poète aimait par dessus tout la douceur de la Loire, de ses animaux, de ses bois. Personne mieux que lui n'arrive à nous faire sentir les moments de bonheur qu'il connaît depuis l'enfance, et l'immense tristesse de les avoir perdus  à jamais. Une conscience profondément humaine et ciselée par des yeux qui voient et qui sentent tout ce qui lui est précieux et donc tout ce qu'il y a de précieux dans la vie. D'autant plus qu'à douze ans, il connaîtra le premier effondrement de ce monde merveilleux avec la mort de sa mère.

J'ai découvert Maurice Genevoix en 2014. Je pensais trouver un style un peu guindé, académique. Et ce fut un enchantement. Il a aussi nourri, coloré  cette  nostalgie que j'éprouve à l'égard de cette génération foudroyée et figée dans la mémoire comme une longue blessure silencieuse. 

Pour moi, la guerre de 14, ce sont toutes ces  statues de soldats dans tous les villages de France et ces listes interminables de noms de soldats morts à l'aube de leur vie. Qui s'arrête encore devant ces monuments qui rappellent le nom des pères, des frères, des fils, des maris, des amis. Parfois on peut voir le même nom de famille cité cinq, six fois. Je me suis mise à photographier avec la douceur d'une caresse, ces petits soldats arrêtés dans leur élan de pierre ou de bronze.

Pour moi, la guerre de 14, c'est mon grand-père,  Arthur, tassé sur lui-même, assis dans son fauteuil râpé et sans couleur et son clair regard de ciel, perdu dans ses rêveries et comme posé, sur les glaïeuls et les dahlias qu'il cultivait pour fleurir les tombes.

On n'osait pas le déranger. Il ne parlait pas. Ma grand-mère, Jeanne,  ne parlait pas non plus. On soupirait ... beaucoup, on se regardait en soupirant, on se quittait en soupirant et on pleurait en soupirant. Nous ne savions rien de cette tristesse qui les habitait mais elle nous habitait aussi. Elle venait de  ... Et pourtant j'ai connu chez eux tant de joies, tant de plaisirs. Mon enfance en fut illuminée. Je me suis  régalé de généreuses tartines de confiture de groseilles du jardin, de tartes aux mirabelles, de soupes à l'oseille, de fromage blanc servi à la louche, et le vieux poirier, ce vieux poirier ... avec ses poires toutes petites et dures mais que nous dégustions comme des fruits défendus et désirables, et ... et les truites argentées, et les brochets  ... et nos petits goujons, et la Moselle et nos bains glacés, son eau claire et vivante d'algues et de galets aux yeux de mica, le canal, ses écluses et le pont-canal, les forêts de saules qui bordent la rivière et qui balancent leurs longues chevelures argentées de pleureuses. Quel bonheur ! images fugaces mais tenaces, ineffaçables qui viennent encore colorer et soutenir mes moments présents. 

Ils habitaient les Vosges, la Lorraine, dans la maison au bout de la cité Jeanne-d'Arc à Golbey, une cité ouvrière. Je le nomme Arthur le Magnifique, c'était mon grand-père.

Jamais il ne nous a parlé de la guerre. Ses mots étaient peut-être retenus dans ses larmes.

Je n'ai reçu aucun mot de mon grand-père paternel. Je n'ai reçu aucun mot de ma grand-mère. Et pourtant j'ai tout reçu, une immense vague chaude et salée, peut-être ce qu'on appelle l'amour ? On ne nous disait jamais "je t'aime",  "mon coeur" comme on l'entend aujourd'hui, mais c'était là, et nous, enfants, nous le sentions et nous nous sentions au coeur du monde.

Ils m'ont appris tant de choses. Ma grand-mère était catholique. Mais elle n'a jamais essayé de nous convertir. Quand je triturais son chapelet en pierres violines avec envie, elle me disait qu'elle m'en offrirait un. Elle priait doucement,  régulièrement et sans ostentation. C'était le souffle de sa vie. 

Pendant ce temps, j'étais élevée dans la laïcité et l'amour de l'école publique. C'était ma religion, qui ressemblait comme deux gouttes d'eau à celle de ma grand-mère ou de mon grand-père. La même exigence,  la même dignité, la même source. Ma grand-mère avait épousé Arthur, Alsacien et protestant. Tout allait de soi et avait sa place légitime.

Ma grand-mère Jeanne travaillait comme sage-femme dans la campagne profonde et parfois emmenait mon père encore petit, dans les maisons où se passaient les accouchements.  Ainsi me mit-elle au monde dans sa propre maison. J'en mesure toute l'étrangeté et la beauté  aujourd'hui. Ces moments vécus entre entre ma mère, ma grand-mère et moi ont cimenté nos liens. Nous étions proches naturellement, biologiquement. 

Les mots restaient à leur place, en retrait par rapport à une réalité  forte,  enracinée, originelle.

 

Je terminerai par une phrase de Maurice Genevoix :

"Laissons venir, voulez-vous ? Et puis nous marcherons, nous irons au devant, comme ce matin. Je dis bien au devant, ce qui doit venir viendra, il y aura forcément rencontre". 

Maurice Genevoix nous laisse un héritage extraordinaire, parce qu' après avoir connu l'enfer du front  il peut encore écrire  sur "l'invincible espérance des hommes".

J'aimerais dire aux jeunes d'aujourd'hui combien je trouve cette phrase importante. Cette croyance je l'ai peut-être reçue comme une pluie bienfaisante le jour où je suis née.

 

 

Le soldat Arthur Noé

Le soldat Arthur Noé

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JE LIS ET JE MARCHE DANS NICE AVEC JEAN MARIE GUSTAVE LE CLEZIO

L'article que je vous propose de lire aujourd'hui, est la trace qui reste d'un atelier de lecture bilingue (français-anglais) et transversal que j'ai vécu avec des élèves de Terminale Secrétariat. Ce sont des élèves qui sont souvent rebutées par la lecture. La plupart sont en difficulté et ont un vocabulaire assez restreint.

C'est pourquoi, j'ai monté cet atelier (devant ensuite se prolonger par une expérience d'écriture), où le corps est engagé dans l'acte de lecture (le corps est si important pour les élèves de cet âge), et la voix qui est à la fois un phénomène physique très présent et aussi un merveilleux instrument de musique qui permet de jouer les mots, de les vivre pleinement, dans un mouvement, un souffle ... Bien sûr cette partie a été préparée en classe, dans un  choeur de récitants, puis en solistes ... nous y avons pris beaucoup de plaisir.

Le plaisir doit toujours être présent,  la lecture devient rythme, intonation, mesure, les phrases sont étirées, modulées ou scandées, une musique intérieure apparait.

 

Le livre choisi est : LULLABY     qui est le mot anglais pour BERCEUSE, et aussi le nom d'une très jeune fille, l'héroïne de ce jour d'avril 2010.

Avant de donner quelques extraits de Lullaby et le cheminement de lecture des élèves, voici un résumé, et des remarques sur ce livre.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

On peut lire ce livre dés l'âge de neuf ans.

On peut lire ce livre dés l'âge de neuf ans.

Résumé de Lullaby
Un matin du mois d’octobre, Lullaby décide de ne plus aller en cours. Elle écrit à son père, glisse dans un sac quelques objets et, empruntant le chemin des contrebandiers, part en direction de la plage. Un petit garçon qui revient de la pêche, une jolie maison grecque, mais surtout le soleil et la mer remplissent ses journées d’ivresse et de liberté. Un jour, pourtant, il faut revenir à l’école. Qui donc voudra croire à son étrange voyage ? Une rêverie adolescente lumineuse et poétique, une héroïne en quête de liberté. Retrouvez l’immense talent d’écrivain de J.M.G. Le Clézio, auteur contemporain majeur.
De l'autre côté de la colline, la villa Kerylos apparut sur sa presqu'île.

De l'autre côté de la colline, la villa Kerylos apparut sur sa presqu'île.

PROJET : Promenades littéraires

Projet bilingue (Français/Anglais) transversal
Mme Basso : professeur de communication/secrétariat Mme Pécheur : professeur d’anglais-français

PRESENTATION DE LA CLASSE DE TMS2 :
Un souvenir de la visite du musée Masséna en mai 2010

Fanny, Marine, Elodie, Shérazade, Fatima, Katia, Anne-sophie, Rania, Sarah, Saranda, Anissa, Alhem, Naourez, Aurélie, Dalhia, Moinourou, Maëva, Jurjura, Sameh, Hajer, Bérangère, Jessica, Aurélie.

A la rentrée 2010, nous décidons des possibilités de parcours littéraires, projets répartis sur les trois trimestres :

- Nice avec Jean-marie Gustave Le Clézio,  à la fin octobre 2010 : esprit des lieux où l’auteur a vécu, écoute des mots, des voix, des vagues.
Thèmes retenus : Sensations, impressions, la fuite, la mer, la curiosité (au-delà, par-dessus ...), l'adolescence.

- Menton avec Katherine Mansfield, à laquelle je consacrerai un article ultérieurement.

 

Jour 1 : Promenade du lundi 18 octobre 2010

La marche vers la mer – partons et voyageons ... avec JM G. Le Clézio.

I - Travail préparatoire en classe : a) Sur l’auteur :

- Une courte biographie est établie par deux élèves (Fanny et Moinourou)

Nous nous attachons surtout à ce qu’il dit ou écrit car ses mots guideront et donneront ses couleurs à notre promenade. Peut-être laisseront-ils quelques traces à l’intérieur de nous-mêmes.

Ainsi, il nous dit :

« Ce n’est pas par hasard qu’il y ait cette rencontre entre le fait de lire et celui de vivre au bord de la mer ».

« Je crois profondément que les livres sont des éléments les plus dangereux d’une époque, les plus beaux aussi, les plus risqués pour celui qui les lit et celui qui les écrit. »

« Lire ou écrire, je ne vois pas la différence. C’est un tout ».
« Je me souviens, j’avais le sentiment du danger éminent représenté par le livre. »

et sur Nice :

Nice, la ville du Livre des Fuites, la ville des errances anciennes et des nouvelles. Ville des jardins quadrillés de massifs de lauriers et de haies de cyprès. J.M. Le Clézio est là, accoudé à la balustrade.

Promenade du bord de mer, errant vers le quartier de l’est, (...) longeant les villas blanches et les jardins de palmiers. Nice, toujours Nice.

« la ville immobile, étendue entre mer et montagne, sombre comme une grande flaque. »

b) Lectures préparatoires en classe :

Nous lirons la nouvelle « Lullaby » en entier et nous travaillerons des extraits choisis par nous.
Nous travaillerons l’extrait que nous avons choisi de lire à voix haute, comme un musicien travaille une partition : nous poserons notre voix, notre respiration. Nous écouterons les silences, le rythme, le souffle pour donner vie au texte qui en retour, nous fera voir, sentir, entendre le paysage autour de nous.

Puisses-tu, « Lullaby », petite berceuse du bord de cette mer Méditerranée ... nous accompagner parce que «je me suis retrouvé, par ma naissance, devant cette mer, et il fallait bien que j’en fasse quelque chose . »

c) Nous préparons une note de service pour l’organisation de la journée (Jurjura et Saranda), à partir des lectures et des renseignements que nous avons collectés sur les lieux en relation avec J.M. G. Le Clézio.

(à insérer)

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Le 18 octobre arrive. La veille, il a beaucoup plu. Mais le matin se lève, clair et lumineux.
Nous partons de la Place Garibaldi.
Première étape : chercher l’appartement où Jean Marie Le Clézio a vécu avec sa famille. Nous avons pour cela une photo de sa chambre et la vue sur le port. Nous savons que la famille Le Clézio occupe tout un étage, le troisième d’un immeuble à gauche de l’église Notre-Dame du port, plus connu sous le nom de palais du duc d’Astraudo. Trois fenêtres donnent sur le port. Nous avons également une photo du balcon en façade et des sculptures d’inspiration grecque.

Nous rencontrons un monsieur qui attend le bus pour aller chez le dentiste. Il nous indique l’endroit exact où a habité l’auteur. Il a bien connu Le Clézio et s’en souvient bien. Dans les années 70, le vieil immeuble aux fières colonnades à l’italienne, tombe en ruine. Quant au bureau de Le Clézio, il n’est pratiquement pas chauffé !

Nous nous engouffrons dans le « spacieux escalier de marbre blanc et sous les plafonds à caissons », là, nous y évoquons l’auteur, au centre de sa chambre où brille un astre étrange : une ampoule électrique.

De nombreux livres (Terra Amata, L’Extase matérielle, le Livres des Fuites) comptent tous de singulières pages sur cette ampoule qui jette des éclats fulgurants, qui s’éteint et se rallume sans fatigue. C’est étrange, cette fascination véritable et insistante pour ce conducteur d’électricité alors que le père, médecin en Afrique, en rejette l’existence et lui préfère la lampe à pétrole ou la bougie.« Ampoule électrique, ampoule électrique, sauve-moi ! Viens à mon aide ; Permets que j’entre dans ta sphère de silence, à l’intérieur de ta bulle de verre fragile. »

 

 

Nous admirons les fières colonnes de la Place Ile de Beauté, face au port  où a vécu JMG Le Clézio.

 

Deuxième étape : Lectures

Nous longeons le port et partons vers la Réserve et « les rochers blancs comme des icebergs. »

Dalhia lit Lullaby : (photo de Sarah)

« Le jour où Lullaby décida qu’elle n’irait plus à l’école, c’était encore très tôt le matin, vers le milieu du mois d’octobre. (...)

Il y avait beaucoup de soleil et en se penchant un peu , elle put voir un morceau de ciel bleu.... Au-dessus des toits des   voitures arrêtées, la mer était bleu sombre, et il y avait un voilier blanc qui avançait difficilement. Lullaby regarda tout cela, et elle se sentit soulagée d’avoir décidé de ne plus aller à l’école.
Elle retourna vers le centre de la chambre, elle s’assit devant sa table, et sans allumer la lumière elle commença à écrire une lettre. »

.

Anne-Sophie lit à voix haute et claire : On entend les vagues qui se brisent plus bas.

(photo de Sarah)

 

« Dans les rues, le vent n’était pas le même. Il tournait sur lui-même, il passait en rafales qui claquaient les volets et soulevaient des nuages de poussières. Les gens n‘aimaient pas le vent ...
Lullaby marchait dans les rues à grandes enjambées, les yeux à moitié fermés à cause de la poussière.

Rania : (photo de Sarah) « ça faisait plusieurs jours maintenant que Lullaby allait du côté de la maison grecque. Elle aimait bien le moment où, après avoir sauté sur tous ces rochers, bien essoufflée d’avoir couru et grimpé partout, et un peu ivre de vent et de lumière, elle voyait surgir contre la paroi de la falaise la silhouette blanche, mystérieuse, qui ressemblait à un bateau amarré. Il faisait très beau ces jours-là, le ciel et la mer étaient bleus, et l’horizon était si pur qu’on voyait la crête des vagues. (...)

 

Katia :
(...) « Les rochers blancs semblaient des icebergs debout sur l’eau. Un peu penchée en avant contre le vent, Lullaby marcha un moment le long de la côte. (...) Elle aurait bien voulu revoir la belle maison grecque aux six colonnes, pour s’asseoir et se laisser emporter jusqu’au centre de la mer.(...) Alors elle s’assit sur une pierre et essaya d’imaginer la maison.»

Elodie : (photo de Sarah)

« Le soleil frappait fort sur la mer, et grâce au vent froid, Lullaby sentit que ses forces revenaient. Elle sentit aussi le dégoût, et la colère, qui remplaçaient peu à peu la crainte. Puis soudain, elle comprit que rien ne pourrait lui arriver, jamais. C’était le vent, la mer, le soleil. Elle se souvint de ce que son père lui avait dit un jour, à propos du vent, de la mer, du soleil, une longue phrase qui parlait de liberté et d’espace, quelque chose comme cela. Lullaby s’arrêta sur un rocher en forme d’étrave, au-dessus de la mer, et elle renversa sa tête en arrière pour mieux sentir la chaleur de la lumière sur son front et sur ses paupières. »

Anissa
(photo de Sarah)

Le vent tombait d’un seul coup, et elle sentait toute la lumière du soleil qui l’enveloppait doucement, qui électrisait sa peau et ses cheveux. Elle respirait plus profondément, comme quand on va nager longtemps sous l’eau. Lentement, elle faisait le tour du grillage, jusqu’à l’ouverture. Elle s’approchait de la maison, en regardant les six colonnes régulières blanche de lumière. A haute voix, elle lisait le mot magique écrit dans le plâtre du péristyle, et c’était peut-être à cause de lui qu’il y avait tant de paix et de lumière :
« Karisma...»

Le mot rayonnait à l’intérieur de son corps. (...)
Les rayons de lumière sortaient d’elle, par ses doigts, Par ses yeux, sa bouche, ses cheveux, ils rejoignaient les éclats des rochers et de la mer.

Saranda :

« Très doucement d’abord, puis à voix de plus en plus haute, Lullaby chantait l’air qu’elle n’avait pas oublié, depuis tant d’années :

Where the bee sucks, there suck I ;* In the cowslip’s bell I lie :
There I couch when the owls do cry. On the bat’s back I do fly

After summer merrily :
Merrily, merrily shall I live now,
Under the blossom that hangs on the bough.

*poème de Shakespeare

Sa voix claire allait dans l’espace libre, la portait au-dessus de la mer. Elle voyait tout, au-delà des villes, des montagnes. »

 

Visite de la villa grecque Kerylos à Beaulieu

 

Hager :
« Lullaby sentait son corps s’ouvrir, très doucement, comme une porte et elle attendait de rejoindre la mer (...) Son sorps resterait loin en arrière, il serait pareil aux colonnes blanches et aux murs couverts de plâtre, immobile, silencieux. C’était l’arrivée vers le haut de la mer, tout à fait au sommet du grand mur bleu, à l’endroit où l’on va enfin voir ce qu’il y a de l’autre côté. Le regard de Lullaby était étendu, il planait sur l’air, la lumière, au-dessus de l’eau
.

Jurjura :
« Lullaby était pareille à un nuage, à un gaz, elle se mélangeait à ce qui l’entourait. Elle était pareille à l’odeur des pins chauffés par le soleil, sur les collines, pareille à l’odeur de l’herbe qui sent le miel. Elle était l’embrun des vagues où brille l’arc-en-ciel rapide. (...) Elle était le sel, le sel qui brille comme le givre sur les vieux rochers ou bien le sel de la mer, le sel lourd et âcre des ravins sous-marins. »

 

«La lumière scintillait sur leurs crêtes, comme du verre pilé »

ATELIER D’ECRITURE :

« Ecrire, nous dit Jean-Marie Gustave Le Clézio, c’est aller voir de l’autre côté de la colline ».

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Notes et remarques de lecture :

Lullaby fait corps avec les éléments naturels (les nuages, les pins, l'herbe, le miel et la lumière), elle est et devient ces éléments. Comme dans beaucoup de romans de J.M.G. Le Clézio, ses héros et héroïnes sont solaires et rayonnent longtemps à l'intérieur de nous. Je pense que les élèves, dans leur jeunesse éclatante, ont très bien compris ce qui les relie à ce personnage, sa poésie.

J'ai gardé de cette journée un souvenir radieux, où j'ai vu les jeunes élèves, baignées de lumière et ouvrant un livre, bercées par le murmure répété des vagues. C'était un peu les mots de J.M.G Le Clézio qui  adoucissaient leurs gestes et leurs traits.

J'invite les élèves à regarder la mer, son scintillement et à garder dans le creux de leurs mains, comme un trésor,  cette image que nous offre JMG Le Clézio : "La lumière scintillait sur leurs crêtes, comme du verre pilé."  

Notre chemin de lecture

Notre chemin de lecture

Une des photos de Sarah

Une des photos de Sarah

Une des photos de Sarah : Anne-Sophie

Une des photos de Sarah : Anne-Sophie

Une des photos de Sarah : La blanche villa Kérylos

Une des photos de Sarah : La blanche villa Kérylos

Une des photos de Sarah : Voir la mer de la villa Kérylos

Une des photos de Sarah : Voir la mer de la villa Kérylos

J'ai beaucoup d'autres photos prises par Sarah, qui a pris son rôle de "reporter" au sérieux, et dont les points de vue illustrent bien le sentiment que nous avons partagé. Malheureusement elles dépassent souvent 8Mo, taille maximum autorisée par la plate-forme.

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16h Vagues submersives (un dimanche d'hiver, jetée du port de Nice janvier 2020)

16h Vagues submersives (un dimanche d'hiver, jetée du port de Nice janvier 2020)



Je ne parlerai pas,je ne penserai rien :
Mais l'amour infini me montera dans l'âme,
Et j'irai loin, bien loin , comme un bohémien,
Par la Nature, heureux comme avec une femme"

Sensations (Arthur Rimbaud)

J'ai poussé la porte de la librairie indépendante, "les Journées suspendues", à Nice, une petite librairie sur l'avenue Borriglione, petite mais qui regorge de livres aimés et rassemblés pour notre plus grand plaisir.

J'y ai découvert un livre "Opossums" de Marc Desombre (1994), beau en tant qu'objet (rare, en tirage limité sur bouffant Lucerne). En imprimerie, le papier bouffant est un papier sans apprêt, de forte épaisseur. Cela lui donne un bonne mine de pain cuit et quand on l'ouvre, il sent bon.

L'éditeur est Cheyne au Chambon-Sur-lignon, 43400. "Opposums" est le premier livre de Marc Desombre et il a été publié dans la collection Grands Fonds.

Ce livre a suscité de suite mon attention. sur la quatrième de couverture, j'ai pu lire :

"Le miroir qu'on promène sur les chemins de la vie parfois se brise. Commence alors un lent travail, obstiné et mélancolique, pour récupérer les morceaux épars de soi et du monde. C'est à cet effort de reconstitution que s'applique Marc Desombre, tissant aux mailles du silence et de la parole un texte peu à peu retrouvé où se lisent fragments de mémoire, instants d'émotion, visions précaires, "trois fois rien" en effet. Mais il arrive que la vie de nouveau respire et tremble dans ces petites choses. Opossums est comme le journal de bord de cette patiente reconquête".

Si vous avez commencé à lire mon blogue, vous comprendrez de suite pourquoi j'ai emporté ce livre comme un trésor. De plus le titre "Opossums" au pluriel m'a rappelé ce petit marsupial carnivore  qui courait  sur un parking à Colombus, Ohio,  par un après-midi bleu d'été. Déjà, vous connaissez un mot dans la langue algonquienne d'une peuplade indienne d'Amérique, le mot "Opossums", ce mot est une invitation au voyage en soi-même.

En voici un extrait :
 

Le 22 septembre

8h

Un grand chêne, face à la cour de l'école, soufflait une chanson qu'il me semblait connaître; Mon père entrait dans la chambre; il tenait un plateau sur lequel apparaissait, parmi tartines et pots de confiture, l'image fragmentée du vieux continent.

Des gens passaient dans la rue.

La poussière habillait un rai de soleil.

Je me souviens avoir cherché longtemps sur une carte, l'île d'Ithaque.

 

Nous faisions des Arts Plastiques en classe le mardi matin. Le peintre qui venait, un homme efféminé d'une quarantaine d'années, répétait souvent d'une voix enrouée : "Faites exploser sur vos feuilles tous les feux d'artifice ! Des formes se dévoileront : tel jour une pierre, tel jour une plante, un animal. Telle heure un paysage ou un visage. Sachez saisir ce qui commence ou qui finit. Je n'aime pas l'ordre. je n'aime pas le désordre. J'aime le visage, le paysage."

Nous ne comprenions pas ces paroles, mais nous n'osions rien dire tant l'enthousiasme du professeur était grand, et tant nous avions peur de paraître idiots face à nos camarades."

Minuit

Echos d'une guerre lointaine à la radio;

J'entends les pas dans le couloir, les pas syncopés et légers d'une femme timide, blessée. Elle chante souvent la nuit, quelque part entre mes rêves  et les éclaboussures de lumière sur sa bouteille vide.

On voit bien que la lecture et l'écriture se rejoignent et deviennent une quête, cette même quête  et conquête du monde, à travers les rêves qu'elles suscitent,  voyages immobiles ou réels. La réalité et l'imaginaire se superposent, se croisent, dansent ce pas de deux sans fin, liés de frémissants désirs toujours renouvelés.

Chaque livre de la collection Grands Fonds accueille, en marge de tout genre littéraire codifié, des pages plus secrètes, témoins d'une vie qui s'inquiète et s'interroge.

Chaque livre de cette collection est beau. Cheyne imprimeur-éditeur est labellisé imprim'vert, les tirages sont limités et ce ne sont pas des livres à jeter, ce sont des livres à aimer, à garder ou à offrir et des livres à goûter, et à déguster.

Avec le livre, il y avait un mot de l'éditeur, (Jean-François Mannier, Cheyne éditeur), que je vais  partager avec vous, car il est précieux. Je vous confierai ce mot en photo dans mon blogue demain.


 

Voici le mot glissé dans un livre par Jean-François Manier (Cheyne éditeur) et qui m'a fait signe.

                   ELOGE DE LA LENTEUR

 

Face au risque de n'avoir plus à déguster, dans un avenir proche, qu'une littérature "fast food", il me paraît urgent de résister aux pouvoirs grandissants des gestionnaires de la culture.

Le livre est un tel enjeu qu'il exige d'autres critères de valeur que sa seule vitesse de rotation. Et je crois même que son irremplaçable richesse tient à ses lenteurs, à ses pesanteurs.Ce sont ces contraintes qui font du livre cette liberté qui dure.

Oui, il faut un autre temps pour le livre : un temps pour l'écrivain face à son oeuvre, pour l'artisan face aux papiers, aux encres, un temps aussi pour le bibliothècaire en ses choix, le libraire en son commerce, comme pour le lecteur en son plaisir.

Le temps, sans doute, que mûrissent les rencontres, que s'accomplissent les imprévisibles métamorphoses. Le temps du lent émerveillement.

Celui de l'urgence d'aimer.

Merci Monsieur Manier pour ces mots et cet éloge de la lenteur, ces mots font du bien.

 

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