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les raisons de ce blogue

MONTAIGNE ET CESAR

J'ai mis plusieurs semaines à écrire cet article. Il avait besoin du temps de l'écriture.

En ce jour pluvieux et frais de mars,  j'ai appelé Montaigne de toutes mes forces.

Ce blogue n'a pas vocation à être une tribune de l'actualité,  il se dédie à l'écriture et à la lecture, donc à lire les mots qui s'échangent et s'écrivent. Les oeuvres cinématographiques  nourrissent l'imaginaire, et s'adressent à ceux qui les lisent.

L'écriture permet la réflexion par sa lenteur et la concentration qu'elle demande. Elle permet de retrouver le fil d'une pensée. La lecture apporte des ancrages de réflexion, et de méditation.

Je reste en dehors des bruits du monde, que je trouve trop rapides, pour moi, expéditifs, obéissant à d'autres lois que celles de la réflexion. Merci à Juliette Binoche, qui vient juste de témoigner de son sentiment vis à vis de cette parodie de cérémonie.  Comme j'avais vu le film de Roman Polanski, les bruits ont fait irruption dans ma vie avec tout leur vacarme,  et ce que j'ai entendu m'a effrayée. Je ne suis pas indifférente au monde,  à ses mutations.

La lecture et l'écriture ne sont pas un repli, mais un éveil.

Il m'a semblé nécessaire, non pas de dénoncer, mais de pointer certains manquements. 

Mon opinion importe peu, ce qui importe c'est le chemin de l'écriture vers une ébauche de pensée. Car je dois dire, que certains mots, certaines paroles m'ont effarée, par leur inconsistance, leur excès.  J'ai ressenti le besoin de prendre du temps et d'écrire.

Tout excès recouvre une absence, un manquement, une inconsistance, une insignifiance, , une faiblesse, une inanité, une grossièreté de la pensée.

C'est comme cela, je n'ai jamais pu m'associer à des mouvements de foules dont l'expression première était la haine.

Je ne suis pas juge,  de quel droit puis-je condamner ?

Je m'associe évidemment à la douleur des femmes violées, de toutes les femmes violées, mais ce n'est pas parce que nous sommes des femmes que nous devons piétiner le droit de tout homme à la présomption d'innocence, et à la prescription de faits ayant eu lieu il y a trop longtemps.

Je ne suis pas juge, de quel droit puis-je condamner ?

Je suis persuadée qu'il faudra prendre un peu de hauteur (s'envoler en somme) et de lenteur pour que mon opinion puisse être audible, ou du moins se frayer un chemin au milieu du vacarme. Je ne connais rien de mieux que les écrivains ou les philosophes pour puiser des forces dans leurs écrits.

La philosophie peut nous venir en aide, nous maintenir dans un questionnement salutaire  et surtout peut  nous aider à garder nos croyances,  nos émotions, nos vociférations primitives à bonne distance,  les unes et les autres toujours prêtes à prendre le visage des dogmes et des juges,  et de tous les gardiens d'idéologies en -isme. 

Les  jugements à-priori, au couteau,  ne sont-ils pas les seuls points d'appui pour les pensées paresseuses et démonstratives en bruits et fracas, mais sans rime ni raison ?

Je ne peux me fier à mon jugement immédiat.

J'ai perçu des cris, des rages, des mots qu'il vaut mieux laisser passer.

Que veulent dire ces cris, ces rages mondaines, ces nouveaux dévôts  qui .... puissé-je avoir la prose de Molière, seraient bien vite renvoyés en quelques mots  à leurs ignorances et leurs manquements, avec humour. Ils desservent la cause même qu'ils veulent défendre et la rendent indéfendable.

Il me semble que  ce dont nous souffrons actuellement le plus, c'est d'un manque de doute, de questionnement, d'un manque de réflexion. Dire simplement : "je ne sais pas, mais je vais réfléchir" serait rafraîchissant.

Il faut du temps ... Que le temps me soit rendu, car il faut du temps, pour créer, penser, écrire et lire.

Mais non, on parle, on fait du bruit,  ... on  frappe, on fait  mal. L'opinion se fait bavardage nauséabond car elle prend sa source dans son propre bavardage qui a tendance à s'enfler pour convaincre, mais qui en réalité tourne sur lui-même, impuissant à signifier.

On veut dire "des vérités", "sa vérité". La vérité! Voilà un mot sur lequel il faut s'interroger également si on veut garder aux mots leur force et leur justesse.

Il serait bon de relire "1984" de George Orwell, et de comprendre ce qu'est la novlangue, ce langage corrompu, rigide d'un monde totalitaire qui se sert de cette langue pour corrompre la réalité.

La paix signifie la guerre,

La vérité signifie le mensonge,

La justice signifie l'injustice

Humain signifie inhumain

L'amour signifie la haine

J'ai entendu des propros lancés à la volée, des propos inquisiteurs, attendus, plats, relayés par des médias, qui en font des gorges chaudes tout en mettant en avant leur "volonté de témoigner de la parole des femmes". Il y aurait beaucoup à dire sur cette parole des femmes. On est précisément devant une réalité corrompue par un langage officiel et bien pensant. (entendre les paroles du Ministre de la Culture).

Je peux parler de ce film, qui nous est donné à voir. Je veux regarder cette oeuvre d'art. Pour le reste ... Je dis et j'affirme que je ne sais pas.

Dors,  dors ô mon beau silence, Berce moi car j'ai froid.

Je ne peux pas juger, de quel droit  puis-je condamner,   vitupérer,  accuser ?

"J'accuse" est un  film fort et singulier. Roman Polanski nous offre la beauté de son cinéma. Je veux le recevoir comme un cadeau, c'est le pouvoir du cinéma lorsqu'il se fait art. Jean Dujardin, Emmanuelle Seignier, Louis Garrel jouent juste.

La scène d'ouverture du film, me restera comme une des meilleures scènes de cinéma. La cruauté, comme une idée personnifiée,  y est magnifiquement filmée  par Roman Polanski. Une mise en scène qui  porte cette cruauté à des sommets, absente de paroles mais orchestrée comme une force qui écrase, qui dégrade.  Un lynchage officiel, cérémonial ... mais presque "pornographique"  au sens de Faulkner (mot rapporté par Isabelle Huppert, répondant à un journaliste sur ce qu'elle pensait des Césars, des jours après)

D'un côté le pouvoir de la force d'état qui organise la mise en scène de la dégradation de Dreyfus, et l'homme dégradé et condamné, seul face à l'injustice qui lui est faite.

Le geste de dégradation est un geste qui dégrade autant celui qui le commet que celui qui le subit. Le spectacle organisé en fait un geste pornographique.

D'aucuns y verront une parabole des accusations dont se défend Roman Polanski.

Je me souviens  de Tess avec Nastassja Kinski, et du Pianiste avec Adrien Brody, et je pense que Roman Polansky est un grand metteur en scène et ses oeuvres sont à voir et à revoir.

Sa récompense aux Césars est plus que méritée.

Pour le reste, je veux parler des accusations dont il fait l'objet, qu'en savons-nous ?

Ce dont je suis sûre, c'est que je ne peux ni  juger ni condamner.  La vérité est peut-être un mensonge.

Montaigne nous met en garde contre nos jugements.

Je voudrais aller chercher une piste de réflexion dans la (re-)lecture des Essais de Montaigne, vers lequel je me tourne souvent lorsque je me sens perdue, sans voix face à des jugements  qui semblent être sans fondements réels.

Je citerai Les Essais de Montaigne selon une lecture d'Hervé Caudron, professeur agrégé de philosophie,   et prendrai des phrases à méditer dans le chapitre du Jugement :

"Le jugement tient chez moi un siège magistral ..." Montaigne, Essais, III, 13.

Ainsi, de son lointain XVIème siècle, Montaigne nous parle et nous dit que nous (les hommes) sommes toujours prompts à juger (promptement).

Nous formulons des avis, nous exprimons des opinions qui révèlent nos convictions, notre point de vue personnel. "Le jugement est un outil à tous sujets, et se mêle partout" (I, 50).

Voulant réfléchir, au moins pour lui-même, sur les conditions d'un jugement éclairé, conscient de ses limites, Montaigne est amené à dénoncer, et cela d'un bout à l'autre des Essais, l'habituel dérèglement de notre esprit, prompt à se croire infaillible".

Il cherche à comprendre la logique d'un tel dogmatisme.

Comment nos opinions parviennent-elles à se croire indiscutables ? Comment des préjugés réussissent-ils à se développer, à s'étendre, à proliférer jusqu'à devenir des évidences pour presque tout le monde ? Comment deviennent-ils des vérités-mensonges ?

Comment l'opinion publique pèse t-elle sur les convictions de chacun ?

Ainsi nous parle Montaigne.

Témoin des pires cruautés et des injustices les plus criantes, Montaigne voit trop bien les conséquences du dogmatisme,  pour ne pas s'alarmer et écrire. (Je rappelle, qu'en France, au XVIème siècle, règnent les guerres de religions).

Il sait que l'opinion publique, se montre capable de conduire à des lynchages  : il lui suffit parfois de répandre des convictions haineuses sans fondement, vite amplifiées par la rumeur.

Bien juger est difficile et demande du temps. Comment l'opinion de la foule serait-elle assurée d'être vraie quand elle se laisse séduire par l'apparence et porter par l'émotion?

La folie partagée passe aisément pour du bon sens. Elle n'en est pas moins folie.

L'important n'est pas d'échapper au sentiment, à l'émotion , à la passion, mais de préserver sa liberté de jugement. Une forme d'aliénation commence chez celui qui n'est plus capable d'installer la moindre distance avec ce qu'il éprouve.

Et Montaigne nous dit  également :

Dans la colère, par exemple, nous nous laissons emporter par l'émotion. Plus rien ne compte que l'envie d'en découdre. Si nous souffrons, il nous faut un coupable, quelqu'un sur qui faire porter toute la responsabilité de ce qui nous arrive. Quitte à le construire de toutes pièces ... Nous n'avons pas toujours, hélas, besoin qu'un fait soit établi, avéré et "suivant cet usage, nous savons les fondements et les causes de mille choses qui ne furent jamais" (III, 11) Construire notre raisonnement sur une fiction ne nous fait pas peur. Plus précisément, nos raisonnements, qui peuvent être très ingénieux, sont commandés par le besoin de confirmer en permanence des convictions sans fondement. La folie aime croire qu'elle raisonne en  s'appuyant sur des observations indiscutables, sans voir qu'elle confond les "faits" et ses propres divagations.

La première forme de liberté intellectuelle, n'est-elle pas (selon Descartes qui reprend l'analyse de Montaigne) de savoir suspendre son jugement, faute de preuve ?

Je terminerai cette réflexion sur cette délicieuse phrase de Montaigne :

"La peste de l'homme, c'est l'opinion de savoir"(= c'est penser qu'il sait). Ainsi, croyant avoir raison, il nous semble vite inadmissible qu'on puisse s'obstiner à juger autrement que nous.

Voilà quelques phrases à méditer et qui seront ma réponse à cette polémique, éclairée par un esprit riche et libre du XVIème siècle, Montaigne. Je ne peux que vous encourager à lire et relire Montaigne.

Par ailleurs, relire Montaigne me relie à ma propre langue, savoureuse. Je me sens très proche de Montaigne, qui m'accueille par ses mots, ses phrases, avec générosité et rigueur. Le plaisir de lire et de raisonner, résonnent comme une musique sensuelle.

Dans la salle où a lieu la remise des Césars,  on a pu entendre une voix courageuse qui dit sans trembler et avec le sourire : "j'aime beaucoup Roman Polanski, et je suis très, très heureuse qu'il ait été récompensé. On peut ne pas être d'accord bien sûr, à condition de préserver la liberté d'opinion" Dans cette salle, où il était de bon ton d'accuser (je vous laisse continuer la phrase), la voix de Fannie Ardant était fraîche,  libre et courageuse.

Sur  les ondes, quelques jours plus tard, Isabelle Huppert évita aussi de tomber  dans le piège de l'emprise de l'opinion publique et proposa une méditation sur le mot "lynchage" qui pour William Faulkner est associé à "la pornographie".

Méfions-nous de nos jugements !  Quelle est la part des faits, et de ce que nous voulons faire dire aux faits ?

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(Je voudrais rappeler la conviction suspecte de Marguerite Duras sur la culpabilité de Christine Villemin, la mère de Grégory, le petit garçon de quatre ans retrouvé noyé et ligoté dans la Vologne.  Marguerite Duras a été aveuglée, et ignorant tout, pensait savoir).

J'ai lu les livres de Marguerite Duras et je les ai aimés, mais  je déplore sa faiblesse de jugement dans l'affaire Villemin, son attitude, son manque de discernement, de jugement. 

Elle écrit un article à scandale, « Sublime, forcément sublime », où elle décide que Christine Villemin est coupable. 30 ans plus tard, cet article controversé résonne toujours.)

C'est le pouvoir de l'art (son mystère) que de nous amener à mettre en doute nos trop grandes certitudes, qui sont souvent le fruit de notre aveuglement et de nos fantasmes. Ces fantasmes nous paraissent plus réels, car plus immédiats, plus séduisants, brûlants mais en fait,  ils sont cousus à la hâte, par les  fils de l'émotion qui doit se décharger coûte que coûte, et tout de suite.

L'Art va contre nos convictions et l'opinion publique. L'Art, comme le philosophe est peut-être au-dessus de la cité ?

L'Art n'avait pas sa place ce soir-là dans les paroles vulgaires qui ont été prononcées à la séance de remise des Césars. L'Art s'était absenté, s'était envolé vers d'autres lieux, d'autres contrées, avait migré,  estivé. Il s'était échappé. Il n'avait pas sa place, se sentait à l'étroit, l'air était irrespirable, il étouffait. Il avait perdu ses voiles de mystère et ses "semelles de vent".

Reviendrait-il ?

Dans cet article, j'ai abordé les mots suivants :

- Jugement

- opinion, réaction

- Vérité / Mensonge

- Art

- colère, émotion

- réflexion, pensée

Auteurs cités :  Georges Orwell (1984)

                           Montaigne (Les Essais)

                           Faulkner

                          Marguerite Duras (Interview)

 

Pour terminer ce long monologue, j'espère recevoir non pas des réactions mais des commentaires pensés et pesés,  qui ouvriront les esprits à d'autres réflexions.

Ce sera l'atelier  d'écriture que je propose aujourd'hui.

Je voudrais terminer mon article par les paroles d'un poète :

Le vent se lève !… Il faut tenter de vivre !
L’air immense ouvre et referme mon livre,
La vague en poudre ose jaillir des rocs !
Envolez-vous, pages tout éblouies !
Rompez, vagues ! Rompez d’eaux réjouies
Ce toit tranquille où picoraient des focs !

Paul Valéry   (1920) Le Cimetière Marin - extrait

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APRES QUELQUES SEMAINES D'EXISTENCE

Plage de Saint-Jean-Cap-Ferrat en automne 2019

Plage de Saint-Jean-Cap-Ferrat en automne 2019

Et lorsque vous me lirez ce sera
comme si une voix glissait
De l'autre côté des futaies et venait vous rappeler
qu'il existe une autre manière
de parler donc de vivre.

Emmanuel Godo (né en 1965) extrait de "A mes filles" in Je n'ai jamais voyagé ed. Gallimard

Mon blogue a maintenant presque un mois. Il est temps d'en éclairer les inclinaisons, les orientations qui s'en dégagent. Je peux déjà déterminer des points importants.

 - A qui ce blogue s'adresse-t-il ?

Même si j'ai du mal à déterminer un lecteur particulier, une cible précise, tant le lecteur vagabond poussé par la curiosité,  peut tout à coup naître à des mots, des fragments contenus dans ce blogue, je peux déjà présumer qu'il intéressera des professeurs, des animateurs, des pédagogues de toutes sortes,  mais aussi des lecteurs, des parents quels qu'ils soient, qui voudraient partager leurs expériences et transmettre leur amour de la lecture.

Il s'adresse à  tous  de   7 à 99 ans.

Des lecteurs qui cherchent un chemin jusqu'à l'écriture, et ne savent pas lequel prendre pourront trouver dans ce blogue, non pas des réponses  prêtes à l'utilisation, car je ne peux m'empêcher de penser aux plats tout préparés en barquettes, ou  aux recettes simplistes, mais plutôt des propositions et des expériences d'écritures à tenter et à vivre jusqu'à la fin de leur vie. 

Je ne parle pas d'âge en particulier, car j'ai dédié ce blogue à Clarisse, huit ans et à Fannie-Laure, seize ans, qui pourront le lire lorsqu'elles en éprouveront le désir, peut-être découvriront-elles mon propre désir, celui d'une grand-mère, attentive à toutes les possibilités qui sont offertes par la lecture et l'écriture, dans la découverte de soi, une véritable aventure, la plus grande selon Montaigne. Alors, soyons cet "homme aux semelles de vent"  (surnom donné par Verlaine à Rimbaud),  Arthur Rimbaud qui, en seulement deux ans de production intense, donna tout ce qu'il avait à dire.

"J'ai voulu dire ce que ça dit, littéralement et dans tous les sens",  nous dit-il, en s'adressant à sa mère. Et ces mots sont un cadeau immense à notre imaginaire.

  - Quelle est la vocation de ce blogue ?

Dans la vie "vraie",  je  préfère la réalité à la virtualité. Cependant, je suis heureuse d'avoir franchi le miroir, comme Alice, et je découvre au fur et à mesure les possibilités que ce nouvel espace d'expression peut offrir. 

Cependant, j'aimerais que ces écrits me ramènent à la réalité, c'est pourquoi, j'ai besoin d'échanges réels, avec des lecteurs en vrai, et des écrivains (en herbe ou confirmés) qui m'enverraient leur production, leurs doutes, leurs découvertes.

Et pourquoi pas, dans quelques temps (plus ou moins lointain), se réunir à Nice ou ailleurs pour parler de ce qui nous semble important et lire à voix haute ce que nous avons aimé, rencontré ou produit.

- Quel est l'esprit de ce blogue ?

Il est avant tout vagabond, errant, curieux, ouvert. Toutes les sensibilités sont bienvenues.

Il est cette place au milieu du village où nous nous réunissons pour bavarder sous un tilleul bienfaisant. Il est ce banc sous les tilleuls qui recueille toutes nos tendresses, nos échanges, nos espoirs et nos chagrins.

Ce qui compte c'est d'écrire quelque chose qui compte pour vous, sans craindre les jugements.

Sans compétition aucune. Vous pouvez  utiliser la messagerie pour vos envois.

 

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L'ESPRIT VAGABOND

Tout ce que j'ai écrit je l'ai écrit dans cette ombre paisible
Juste à côté de vous dans le silence heureux" Extrait de "A mes filles" in "Je n'ai jamais voyagé"

Emmanuel Godo

Mon atelier est un atelier d'écriture et de lecture, les deux sont  inséparables, liés dans un pas-de-deux sans fin. Il est mon chemin, mon chantier, un peu fouillis, un peu ébouriffé, mal coiffé. Les désordres me vont s'ils permettent des découvertes, des rencontres et qui sait ?  quelques créations.

Il peut y avoir des lectures sans écritures, mais il ne peut y avoir d'écritures sans lecture, sans livre. Le livre est extraordinaire, il mène à des royaumes, des questions sans fin, des satisfactions profondes. Avec lui, on ne peut s'ennuyer, jamais. Mais le livre fera peut-être l'objet d'un atelier, plus tard, à lui seul. 

Je finirai cette journée par des lignes volées à Philippe Delerm dans "Le trottoir au soleil" et que j'ai lu hier avec délectation alors que j'attendais que le traitement que je dois suivre, s'achevât ... et que la pluie cessât de tomber.

"Je reçois assez souvent des témoignages de plaisirs minuscules. Ils prennent moins la forme de suggestions d'écriture que celle d'une complicité discrète. Une façon de partager le monde. De partager, pas de confondre. Au demeurant, je n'éprouve jamais l'envie d'écrire sur un sujet ainsi évoqué. Mais je n'ai plus le désir de les goûter. Pour ténu, humble qu'il puisse sembler, le plaisir minuscule est une possession personnelle dont les racines ont bien souvent à voir avec l'intensité des sensations d'enfance. Chaque individu reste une île. Un île courtoise, qui se laisse accoster, mais pas envahir."

Sur mon chemin, mon île, j'ai rencontré Philippe Delerm, je me suis trouvée en accord, en harmonie avec lui. Qu'il continue à nous ravir en nous racontant "le trottoir  au soleil". En plus de son observation aigüe des choses, il ouvre son livre sur des vers de François de Cornière :

"Je prends le plus souvent

Le trottoir au soleil.

J'y pense en traversant la rue

Pour quitter l'ombre

rejoindre de l'autre côté mon ombre

qui maintenant me suit.

Je trouve ainsi dans les auteurs que j'aime et que je rencontre,  des similitudes, des coïncidences,   qui expliquent et fondent le désir d'écrire. Je ressens le même le goût  du silence. 

 

Novembre 2019 :

"J'irai dans des maisons que je ne saurai pas". (Charles Péguy : Adieux à la Meuse). Plus de trente ans que j'écris chaque jour qui se lève, dans Nice,  des carnets muets qui  contiennent des mots muets, gardiens silencieux de ma vie qui s'écoule doucement comme la Meuse.

Il sont les témoins de ma présence au monde, dans une tranquille intranquillité. Les dérives, parcours sans but précis, sont un prétexte aux vagabondages, les pieds bien à plat sur la terre, le nez en l'air, des mots en poche et la curiosité en éveil.

Des dessins pour rien, sinon pour dessiner, des notes prises au vol d'oiseaux migrateurs ou sédentaires, et la quête, toujours là, battante, en bandoulière,  sont des trésors ordinaires et quotidiens. Ils résonnent  en moi, étrangement, sourdement de toutes mes expériences lilliputiennes.

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